Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Un vrai choix pour l’école vaudoise: deuxième soirée

Yves Gerhard
La Nation n° 1912 8 avril 2011
La deuxième séance du séminaire sur les problèmes de l’école vaudoise s’est tenue le 23 mars devant un auditoire nombreux et attentif. Deux exposés commençaient la soirée, celui de Mme Sophie Paschoud, qui démontrait cette thèse: «Il y a une vie après l’école», et celui de M. Jacques Perrin, intitulé: «Différences, inégalités, injustices». Une discussion intéressante a suivi ces exposés: la séance fut à tous égards réussie, passionnante.

Juriste et rédactrice au Centre Patronal, Mme Sophie Paschoud est l’auteur d’un récent numéro d’Etudes et Enquêtes (Centre Patronal, 2010) qui s’intitule Réformer n’est pas jouer – Une contribution au débat scolaire vaudois. On y trouve en annexe les résultats de l’enquête réalisée par M.I.S Trend: «Opinion des entreprises formatrices sur les connaissances scolaires des apprentis», d’où étaient tirés les divers graphiques et chiffres projetés et commentés durant l’exposé.

La majorité des élèves qui sortent de l’école obligatoire se dirige vers la voie de l’apprentissage. Pour affronter les exigences d’un métier et s’y former, un minimum de savoirs et de savoir-faire est nécessaire: il est donc logique et normal que le monde professionnel s’intéresse à la formation scolaire des jeunes qu’il doit ensuite préparer aux divers métiers. L’enquête commandée par le Centre Patronal auprès des maîtres d’apprentissage réunit les avis provenant de cinq cent six entreprises, de tous les secteurs économiques, dont les deux tiers forment des apprentis depuis plus de dix ans (un tiers depuis plus de vingt ans). 74% des entreprises engagent des élèves issus de la VSO (voie secondaire à options). A la question: «Sur quels éléments vous basez-vous principalement pour engager un apprenti?», seuls 2% des entreprises répondent en premier choix: la filière scolaire. Le plus important reste le stage que l’apprenti fait dans le futur métier. Les observations que chacun peut faire durant ces stages sont un élément primordial pour la signature d’un contrat d’apprentissage. La moitié des entreprises soumet systématiquement les futurs apprentis à des tests d’aptitude; ce critère est donc aussi important.

La formation scolaire doit être solide pour la réussite d’un apprentissage, et les métiers sont devenus plus exigeants. Or la majorité des maîtres d’apprentissage jugent insuffisantes les connaissances de leurs jeunes, en particulier en orthographe (pour 65% des entreprises), en grammaire et conjugaison (pour 54%), dans les calculs de pourcentages (52%) et des règles de trois (49%), dans les changements d’unité (47%) et dans les opérations de base et le calcul oral (46%). Depuis dix ans qu’a été introduite la réforme EVM (Ecole vaudoise en mutation), le niveau s’est maintenu ou a baissé, dans la très grosse majorité des réponses. La moitié des maîtres d’apprentissage juge insuffisants la motivation et le comportement (maturité, ponctualité, sérieux…). On constate que de gros efforts doivent être réalisés dans ces trois domaines, dans l’éducation familiale comme dans les connaissances scolaires. Malgré ces constats, les entreprises se déclarent prêtes à continuer à former des apprentis, heureusement, et même 12% ont l’intention d’en engager plus que jusqu’à maintenant.

Mme Paschoud aborde ensuite le thème des trois filières actuelles, que le projet de loi de Mme Lyon menace de réduire à deux. Si l’on supprime la VSO, ses élèves se retrouveront en VSG (voie secondaire générale); mais une partie d’entre eux ne trouveront toujours pas de place d’apprentissage après l'école, et il faudra alors – selon le raisonnement officiel – supprimer aussi la VSG. Cette fuite en avant poussera ensuite à prolonger la durée de l'école obligatoire jusqu'à 18 ans, voire à généraliser les filières de formation professionnelle en école!

Toutes les réformes scolaires cultivent le préjugé que l’apprentissage est une mauvaise solution, un pis-aller. Les milieux patronaux soutiennent l’initiative Ecole 2010 pour la simple raison qu’enfin la filière spécifique menant à l’apprentissage serait revalorisée, plutôt que d’être un pâle reflet de la filière prégymnasiale et de la filière générale. Cette initiative affirme le maintien de l’apprentissage, avec une préparation précise et solide des futurs apprentis.

* * *

Le second exposé de la soirée est présenté par M. Jacques Perrin, maître au collège d’Aubonne (division prégymnasiale). L’orateur aborde son sujet par une «autobiographie familiale»: issu de parents et de grands-parents jardiniers, bouchers et vignerons qui avaient tous suivi l’école primaire sans plus, Jacques Perrin est le premier de sa famille à avoir fait des études. Au Collège de Morges, raconte-t-il, un camarade de bonne famille manifestait une sensibilité et une culture, une finesse et une aisance verbale qu’il n’avait pas lui-même, mais cette différence augmentait sa passion pour l’étude. Au programme scolaire figuraient notamment Adolphe de Benjamin Constant, une nouvelle de Kleist, l’ensemble des verbes grecs, apprentissage récompensé par la lecture des tragédies de Sophocle en traduction. Impensable aujourd’hui en VSB (voie secondaire de baccalauréat), dit le professeur qui connaît ses élèves. S’il a pris «l’ascenseur social», au prix d’un déracinement, il gagne, avoue-t-il, beaucoup moins que son frère, qui a repris l’affaire paternelle sans passer par le gymnase. Hiérarchies et différences…

Parlant de son métier, l’orateur introduit une double typologie: le «névrosé» semble accablé par les devoirs qu’il doit rendre, car il a beaucoup reçu; il doit payer sa dette à la société et n’en fait jamais assez… Au contraire le «pervers», qui est apparu il y a une génération, exige tout de la société: il a des droits et en redemande; plus il reçoit, plus il exige. D’enfant tyran, il devient l’élève qui accuse ses maîtres et le système s’il ne réussit pas, parfois avec l’appui de ses parents; il a le droit au doctorat, sans références à ses aptitudes…

La structure en trois filières est issue de cette «névrose». L’école devait préparer des enfants à assumer des responsabilités dans tous les domaines professionnels. On obéissait aux conseils des pédagogues, qui connaissaient et aimaient leurs élèves. Ceux-ci étaient bien différenciés dans des classes homogènes: latines, scientifiques, modernes, commerciales, techniques, primaires, etc., selon leurs aptitudes différentes. Les raisons de cette orientation étaient avant tout positives, en fonction du potentiel de chaque élève. Chaque classe homogène avait son ordre d’exigences, et la pédagogie y était plus facile que dans des classes mélangées. Les corps professoraux, les programmes, les bâtiments étaient séparés.

Ce système a donné de bons artisans, qui ont passé souvent avec succès une maîtrise fédérale. Leurs capacités étaient reconnues. Car «on préfère boire un verre avec un bon boucher fier de sa profession et fournissant de la bonne viande à juste prix que de partager un thé vert avec un psychologue raté et plaintif…»

Le rôle du maître est de chercher le bon côté de chacun de ses élèves, et de l’orienter en fonction de ses possibilités dans une voie où il se sentira bien. L’intellectuel s’ennuie dans une classe hétérogène où le maître doit sans cesse répéter les exercices; celui qui a besoin de nombreuses répétitions est vite dépassé lorsque la théorie avance et que les applications sont plus rares.

Les réformes scolaires, au contraire du bon sens et fortes de leur idéologie, ont rapproché les voies. Pour Jacques Perrin, la voie unique existe, c’est la VSB, qui mène aux études longues. La VSG en est une imitation décolorée, et la VSO un décalque encore plus pâle. D’où une hiérarchisation des voies, qui fait croire aux exclus de la VSB qu’ils ne sont bons à rien: ils sont dans ces voies car ils ont été jugés trop mauvais pour la VSB. Cette orientation négative a perverti le système des filières. Le rapporteur ajoute ici que le même procédé a été appliqué au gymnase: une maturité unique avec une coloration personnelle (option spécifique), et des classes mélangées. Mais les concepteurs de la réforme de la maturité fédérale doivent se retourner dans leur tombe: actuellement, les directeurs, pour des questions d’horaires, forment de nouveau des classes homogènes, avec les élèves qui choisissent «biologie-chimie» notamment; et ils ont raison de le faire.

On en arrive donc à une massification de l’enseignement, consistant à placer le plus d’élèves possible dans la voie intellectuelle, alors qu’ils n’ont pas les aptitudes nécessaires pour y réussir. Le métier d’enseignant se modifie dans le sens d’une complexité toujours plus grande. Doit-il respecter sa mission et ses exigences, et faire échouer ses élèves? On constate une grande souplesse de la part des élèves… et des maîtres pour que les niveaux moyens soient respectés, une faculté d’adaptation qui parfois cache la réalité. La pédagogie différenciée vise en fait à l’uniformité: tous les élèves doivent maîtriser des savoirs, selon le rythme de chacun. Mais on voit bien que l’excellence dans un domaine ne peut être atteinte par tous. De toute façon, l’écart se creuse.

Deux forces utopiques planent sur l’école: l’égalitarisme et l’utilitarisme. Ce dernier met sa confiance dans les diplômes, indépendamment des contenus et des qualités humaines; la course aux titres provoque la compétition, et peu importe la tricherie. L’adaptation, la flexibilité, la créativité sont recherchées pour elles-mêmes.

On voit dans le PER (Plan d’études romand) tous ces travers mentionnés noir sur blanc. Mais la réalité du terrain résiste: les maîtres n’obéissent pas aveuglément aux modèles imposés. Même Maîtrise du français a fini par succomber. L’obstination douce surmonte les obstacles. Les trois filières peuvent, avec l’initiative Ecole 2010, retrouver leur spécificité, endiguer la compétition, revaloriser les contenus, mieux préparer les élèves pour leur futur métier.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: