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Le Temps de Franco

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 1916 3 juin 2011
La biographie que Michel del Castillo a consacrée au général Franco en 2008 n’a pas rencontré de contradicteurs sérieux, malgré l’accusation parfois proférée de réhabilitation du Caudillo. Le succès du livre repose sur deux qualités: l’honnêteté intellectuelle et l’élégance du style. L’auteur se défend d’être un historien, n’ayant pas travaillé sur des sources, mais à partir des meilleurs ouvrages sur la question. De cette compilation est née une monographie vivante, un portrait nuancé d’un personnage souvent livré à la caricature – tant par ses détracteurs que ses zélateurs. Ce portrait de «Francisco Franco Caudillo de España por la Gracia de Dios» est l’oeuvre d’un écrivain talentueux qui a travaillé à la manière de Stefan Zweig, auteur d’une attachante vie de Marie-Antoinette. Sous-titré «récit», l’ouvrage est à ranger résolument au rayon littérature. Ajoutons que ce «temps de Franco», Michel del Castillo l’a vécu dans sa chair, fuyant à l’âge de six ans avec sa mère, en mars 1939, Madrid assiégée par les forces nationalistes; connaissant ensuite l’entassement dans les camps de réfugiés du sud de la France. on ne peut a priori pas soupçonner ce républicain modéré de sympathie pour son sujet. Mais il a d’abord cherché à comprendre et à recomposer une époque dont il est issu: «En un sens, ce livre est ma vie même, contradictoire et déchirée.»

Il y a un mystère Franco: comment ce petit homme bedonnant, à la voix éraillée, médiocrement cultivé, aux goûts de petit bourgeois, a-t-il pu tenir presque quarante ans son pays? Del Castillo qualifie Franco de «militaire chimiquement pur», ce qui explique en grande partie sa politique. Il est d’abord le soldat courageux et avisé dont les exploits au Maroc, entre 1912 et 1927, lui valent d’être nommé général à l’âge de trente-trois ans. Il croit en l’armée, en l’Eglise, en la patrie, et il est viscéralement anticommuniste. Ces quatre piliers fonderont sa politique inébranlablement jusqu’à sa mort. On est très loin du paganisme mystagogique de Hitler, de même que de la théâtralité exubérante de Mussolini. Franco n’est donc pas fasciste: il est conservateur et son action est dépourvue du caractère révolutionnaire des régimes italiens et allemands. Il a utilisé leur aide, tout comme il a instrumentalisé à son profit le mouvement phalangiste de José Antonio Primo de Rivera. Très légaliste, Franco ne s’est engagé dans l’insurrection que parce que la république avait été vidée de sa substance dès 1934 par des gouvernements qui ne cessaient de bafouer la Constitution. L’Etat était sous la coupe de fanatiques, tels Manuel Azaña, féroce anticlérical, ou Francisco Largo Caballero qui fomentait une révolution bolchevique avec l’aide de Moscou. Michel del Castillo n’a guère de sympathie pour les partis inféodés au Komintern et leur préfère les anarchosyndicalistes ou le POUM (Partido Obrero de Unificación Marxista) qui seront impitoyablement écrasés par les staliniens. Franco n’était pas foncièrement antirépublicain: si la république avait su faire respecter un Etat de droit démocratique, il n’aurait pas participé au soulèvement.

La période sombre de la guerre civile est abordée avec sang froid par Michel del Castillo, qui montre qu’en termes d’atrocités les deux camps ont rivalisé à égalité. Après la victoire, Franco n’a pas eu la magnanimité d’un monarque et s’est livré à une répression féroce contre ses adversaires: les mots «pardon», «réconciliation» ou «amnistie» n’existaient pas dans son vocabulaire politique. S’ensuit une dictature cléricale pesante, pour laquelle del Castillo n’a aucune sympathie; mais il précise que «ce n’était pas le IIIe Reich».

Brillant militaire, Franco s’est révélé un politique adroit en tenant son pays à l’écart du second conflit mondial; ce qui lui a permis de conserver, contre toute attente, le pouvoir à la fin de la guerre. Après un purgatoire d’une quinzaine d’années, l’Espagne retrouve une place au sein des nations. La dernière réussite du vieux général sera sa succession: n’oublions pas que le roi Jean-Charles, adulé de tous, à droite comme à gauche, lui doit son trône. En définitive, son plus gros échec est l’image qu’il laisse à la postérité: vainqueur par les armes, il a été durablement vaincu par la propagande du camp adverse. Pour l’opinion publique universelle, il reste le général séditieux, ami d’Hitler et de Mussolini, qui a poignardé en 1936 la blanche colombe républicaine. A la suite des travaux des meilleurs historiens, le récit de Michel del Castillo met cette fable en pièce.

 

NOTES:

Michel del Castillo, Le Temps de Franco, récit, Fayard, 2008, 395 p. (également disponible dans la collection Le livre de Poche, 2010, 448 p.)

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