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Un fédéraliste vaudois à Berne: Charles F. Pochon

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 1931 30 décembre 2011
Charles Pochon nous a quittés le 3 décembre au bel âge de 91 ans. Figure attachante de la Berne fédérale, fédéraliste dans l’âme et esprit non conformiste, ce social-démocrate vaudois de la vieille école conciliait sans difficulté son état de syndicaliste et de militant du PS avec celui de lecteur assidu – et parfois admiratif – de La Nation; une lecture qui remontait au milieu des années 30.

Né à Gland en 1920, originaire de Chavannes-le-Chêne et Denezy, Charles François est le fils d’un fonctionnaire d’exploitation des CFF, Edmond, et d’une institutrice, Blanche, née Rossier. Il accomplit sa scolarité à Gland et à Bussigny, passe au Collège scientifique de Lausanne, puis à l’Ecole supérieure de commerce et enfin à l’Ecole des Hautes études commerciales de l’Université de Lausanne.

Au Collège de la Mercerie, il avait été l’élève de Robert Moulin. «C’était un maître qui nous en imposait par sa personnalité», nous avait-il dit en nous confiant quelques anecdotes et un cahier d’histoire suisse avec des textes dictés par le maître à ses élèves. Le fondateur de la revue Vie, billettiste de la presse lausannoise à ses heures, savait communiquer sa passion pour la langue et la civilisation françaises. A dix-huit ans, le jeune Pochon est engagé par la Feuille d’Avis de Lausanne comme chroniqueur local. Il rejoint un groupe de potaches du quartier de Riant-Mont, où habite la famille Moulin, pour animer avec eux la revue littéraire Romandie. Cette revue trimestrielle, lancée à Lausanne en juin 1938, accueille bientôt les essais de jeunes de toute la Suisse romande. Le groupe initial comprend André Chamot, futur collaborateur de la presse Ringier et génie du journalisme à tout faire, Roger Ramelet, qui présidera les Groupements patronaux vaudois, Pierre Thévenaz, futur ambassadeur, Jean-Pierre Baud, qui sera avocat et président de la Société académique vaudoise, Jean-Pierre Moulin, fils de Robert, bientôt journaliste-écrivain à Paris, ainsi que Madeleine Raccoursier, qui épousera le directeur du Gymnase de la Cité, Georges Rapp. Charles Pochon anime la commission de propagande. L’équipe initiale s’élargit avec l’arrivée de Charles F. landry, Roger Nordmann et Myrian Weber. Dans une «Résolution» en forme de manifeste, les plumes juvéniles de Romandie déclarent vouloir «une Terre affranchie des querelles des partis» et réaliser «l’union des jeunes pour le Pays, pour le Beau». L’influence de Ramuz et de Giono, mais aussi de la Ligue vaudoise, est nettement perceptible. Malgré la faiblesse de ses moyens, l’équipe prend l’engagement de «respecter notre Terre» et de «mettre tout en oeuvre pour que les Arts la fassent resplendir de leur auréole de Paix et de Beauté». La guerre éclate neuf mois plus tard. Quatre «Cahiers de guerre» polycopiés paraissent encore sous la direction de Pochon, Ramelet et Thévenaz, avec en sous-titre la mention «organe de libération jeune, littéraire, positif» et la volonté affichée de «construire dans n’importe quelles conditions». Les conditions sont exécrables et Romandie disparaît début 1940.

En juillet 1941, Charles Pochon participe au creusement d’un tronçon du canal du Rhône au Rhin, sur une marnière proche de son domicile. Il y rencontre le syndicaliste genevois Lucien Tronchet, venu donner un coup de pelle. Sa participation à cette grande aventure vaut à Pochon un superbe certificat de «pionnier du canal» portant les signatures du pasteur Charles Nicole-Debarge, chef de camp, et de Charles Apothéloz, membre du comité du Mouvement de la jeunesse vaudoise pour le creusement du canal et rédacteur en chef du Grutli, organe racheté par la Ligue vaudoise. Le 17 juillet 1942, rebelote: avec de nombreux vaudois, il embarque à Ouchy sur «La Vaudère» pour aller travailler un jour sur le chantier de la Route des jeunes, à la Praille, près de Genève. Contrairement au canal, qui reste à creuser, cette route verra le jour! «Dans une Suisse repliée sur elle-même et peureuse, des jeunes étaient attirés par une volonté d’ouvrir des grands chantiers, d’avoir confiance en l’avenir, de bousculer l’inertie de ceux qui doutaient», écrira-t-il dans Le Cheminot (9.8.1984).

En 1942-43, l’ex-pionnier du canal devient vice-président de la commission sociale et rédacteur de la revue de l’Association générale des étudiants de Lausanne, que préside Gilbert Baechtold. Il est le collaborateur d’Armée et Foyer pour l’Université de Lausanne et un membre actif du comité vaudois de la Ligue du Gothard avec Marcel Regamey, qui se faisait alors remplacer par une institutrice de Chailly, Mlle Chamot.

Sa licence ès sciences commerciales et économiques en poche (1943), il tâte un peu de la banque; en 1944, il s’établit à Berne, où il fait une belle carrière dans l’administration centrale: contrôleur fédéral des finances (1944-1969), sous-directeur de l’Office fédéral de l’industrie, des arts et métiers et du travail (1969-1976), conseiller pour les questions de consommation du Département de l’économie publique et chef du Bureau fédéral de la consommation (1977-1981).

Parallèlement à ses activités professionnelles, Charles Pochon continue de cultiver sa passion pour les journaux et l’information. Ses collections de journaux anciens alimentent plusieurs expositions, dont quatre au Salon du livre et de la presse à Genève. Dans les années 60, il rédige bénévolement la page économique du quotidien Le Peuple – La Sentinelle; il collabore aussi à la Berner Tagwacht et à la Beamten Zeitung. En 1963, on le retrouve cofondateur de Domaine Public, où il tient la chronique des médias et anime un mystérieux groupe signant «Rudolf Berner», du nom d’un célèbre anarchiste suédois; il s’agit en fait de membres du Groupe de Berne de DP que leur fonction empêche de signer et qui se réunissent au café «Rudolf», à Berne; ce pseudonyme, utilisé encore à plusieurs reprises cette année, conduira à la découverte d’un Rudolf Berner vivant à la Chaux-de- Fonds!

Figure marquante de la ville fédérale, Charles Pochon préside pendant de longues années l’Association romande de Berne, éditrice du Courrier de Berne, mensuel auquel il collabore activement. Les Bernois, expliquait-il volontiers, considèrent les Romands de leur ville comme des «bâtards»; par quoi il faut entendre qu’ils ne sont pas, pour les autochtones, des Vaudois, des Genevois ou des Neuchâtelois, mais bien une population de «Romands», les seuls vrais de Suisse puisque les autres se différencient par l’origine cantonale; une origine cantonale dont Charles Pochon était fier, comme il l’avait montré lors de sa présidence de La Vaudoise, association réunissant les Vaudois de Berne. Le 24 janvier, au coeur même de la capitale de LL. EE., n’avait-t-il pas célébré l’indépendance du Pays de Vaud avec un conseiller d’Etat venu tout exprès de Lausanne?

Ancien Valdésien, celui qui se considérait comme «intégré» mais pas «assimilé» suivait de près les activités de sa société d’étudiants lausannoise tout en fréquentant assidûment le «stamm» de Zähringia, société soeur de la Fédération du Falkenstein.

Nous conserverons le souvenir de ce Vaudois de la diaspora, frère de couleurs chaleureux et facétieux, au regard pétillant d’humour, passionné de journaux et documentaliste hors pair.

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