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Défense modérée de l’État fédératif

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1965 19 avril 2013

Une majorité du peuple suisse a accepté l’article constitutionnel sur l’aide à la famille, mais une majorité de cantons l’a refusé. Suite à ce rejet, le conseiller national Roger Nordmann a déposé une initiative parlementaire demandant qu’on réduise l’effet des souverainetés cantonales dans les votations à la double majorité et qu’on rééquilibre la composition du Conseil des États.

La Suisse s’est homogénéisée depuis 1848, argumente-t-il, mais les institutions n’ont pas suivi. C’est sans doute vrai pour les lois, ça l’est beaucoup moins en ce qui concerne la culture, l’action sociale ou nos relations avec l’Europe, par exemple, où des différences fondamentales continuent d’exister entre les cantons. En ce sens, la protection de leur souveraineté par l’exigence de la double majorité est entièrement justifiée.

Cette distance croissante entre les lois fédérales et les réalités cantonales devrait inciter nos parlementaires à mettre la pédale douce. M. Nordmann préfère supprimer les freins.

Les bénéficiaires du système, juge-t-il encore, «sont presque toujours les petits cantons de Suisse centrale et orientale». Il ne dit pas «les cantons conservateurs», mais tout le monde aura compris.

«Presque toujours», la formule de M. Nordmann est habilement trompeuse, car en réalité, les désaccords constitutionnels entre les cantons et le peuple sont rarissimes. Depuis 1980, il n’y a eu que quatre cas, et neuf en tout depuis 18481. Il force donc un peu le trait quand il déclare: «Cette situation […] est une source de frustration et menace en profondeur l’acceptation du fédéralisme.»

En réalité, M. Nordmann profite simplement de l’occasion pour dénoncer un système qui retarde la centralisation fédérale. Qu’il le fasse au nom du fédéralisme indique seulement qu’il maîtrise les techniques de base de la communication politique.

M. Nordmann invoque enfin l’augmentation des écarts démographiques entre petits et grands cantons: en 1850, il y avait onze fois plus de Zuricois que d’Appenzellois des Rhodes extérieures; aujourd’hui, il y en a quarante-quatre fois plus. Il juge que c’est inacceptable.

Inacceptable, ce raisonnement l’est bien davantage en ce qu’il ignore volontairement que la souveraineté, dans l’État fédératif suisse, découle de deux réalités mises sur pied d’égalité, l’ensemble des électeurs suisses d’un côté, les vingt-six États cantonaux de l’autre.

Et en matière de souveraineté, le canton le plus peuplé et celui qui l’est le moins sont rigoureusement égaux, comme le droit de propriété du meunier Sans-Souci est rigoureusement égal à celui de Frédéric II: «Mon moulin est à moi… Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi.»

M. Nordmann refuse cette double source de la souveraineté. Il invoque le principe démocratique «un homme une voix» pour contester la souveraineté subsistante des États cantonaux et, par conséquent, leur voix égale à celle du peuple lors des votes importants. C’est un peu comme s’il dénonçait le fait que, du point de vue du droit international, la voix d’un Liechtensteinois vaut 8750 fois plus que celle d’un Américain.

L’État fédératif est un système de compromis non exempt de contradictions, nous sommes d’accord. Mais M. Nordmann devrait admettre que les fédéralistes souffrent du système autant que lui, en sens inverse, il est vrai.

Les fédéralistes souffrent de l’érosion continue et sans rémission de la compétence générale des cantons, hormis quelques restitutions anecdotiques sur des points secondaires. Ils souffrent de ce que le Conseil des États, improprement surnommé «la Chambre des cantons», n’est pas plus fédéraliste que le Conseil dit national, et parfois moins. Sa désinvolture en matière de défense des cantons est d’ailleurs l’une des causes de la création de l’ambiguë mais non inefficace «Conférence des Gouvernements cantonaux».

Comme Vaudois et partisan d’une autonomie législative cantonale aussi complète que possible, nous sommes d’avis qu’une compétence ne devrait être transférée à la Confédération qu’avec l’accord explicite de chaque canton. A tout le moins, il faudrait qu’une majorité qualifiée d’États cantonaux soit requise pour tout accroissement des tâches fédérales. La Conférence des Gouvernements cantonaux, par exemple, ne fait siennes que les prises de position soutenues par au moins dix-huit cantons. L’administration fédérale ne cultive pas de tels scrupules fédéralistes.

L’État fédératif n’est ni un État unitaire, ni une Confédération au sens plein du terme. Il ne convient pleinement ni à M. Nordmann, ni à La Nation. Mais par rapport aux États qui nous entourent, et par rapport à l’Union européenne, cette cote mal taillée assure un relatif équilibre entre les cantons, une relative paix entre les groupes linguistiques, une relative lisibilité pour l’électeur.

Notes:

1 On trouve les détails sur www.admin.ch/ch/f/pore/va/vab_2_2_4_4.html

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