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Le PS, l’obligation de servir et la neutralité

Félicien Monnier
La Nation n° 1972 26 juillet 2013

Les socialistes suisses sont officiellement des va-t-en-guerre pacifistes.

L’expression peut surprendre. Elle illustre bien l’ambiguïté que contient l’initiative du GSsA pour l’abrogation de l’obligation de servir. De nombreux socialistes sont conscients de cette ambiguïté et ne cautionnent pas l’initiative pour l’abrogation de l’obligation de servir. Cette honorable position mérite d’être relevée. Les récents congrès socialistes n’ont malheureusement pas adopté leurs vues.

Dans un premier élan pacifiste, les congrès socialistes soutiennent donc l’initiative. Car celle-ci tend, personne n’est dupe, à la suppression de l’armée. Le GSsA ne s’appelle pas «Groupe pour une armée professionnelle», mais bien «Groupe pour une Suisse sans armée».

La finalité de ce qui émane de son sein est déclarée expressément. De plus, le PS a réinscrit en 2010 la suppression de l’armée à son programme1.

Les socialistes avaient pourtant abandonné cette position en 1935. La perspective de la révolution s’était en effet sérieusement éloignée. S’accommoder avec l’«ordre bourgeois» devenait un moyen sûr de conquérir une parcelle de pouvoir politique. La montée du nazisme n’augurait rien de bon; l’armée de milice fédérale apparaissait en fin de compte suffisamment populaire pour pouvoir barrer l’avance des Panzer de la bête immonde.

Cette concession allait largement favoriser l’entrée d’Ernst Nobs au Conseil fédéral en 1943. Un premier siège socialiste était acquis.

Que la réinscription de l’abrogation de l’armée au programme de 2010 fut accompagnée du «dépassement du capitalisme» est symptomatique de ce retour aux origines doctrinales: égalité et internationalisme. Ce qui y contrevient ne peut être que concession provisoire, accommodement momentané à la malice des temps.

L’armée leur apparaît comme le lieu de reproduction des inégalités sociales. Il n’y a plus que quelques vétérans de la lutte finale pour croire que les aristocrates et autres grands bourgeois y finissent tous officiers. La vérité est que les enfants de parvenus sont généralement des fainéants. Que nos vieilles familles engendrent quelques officiers est dû à leur sens de la communauté et de la tradition, pas au népotisme des instructeurs. La marche des 100 kilomètres a la même longueur pour tous.

Les socialistes d’aujourd’hui sont en revanche choqués de l’inégalité entre hommes et femmes que véhicule l’armée. Les études «genre» viennent à leur secours. Certains déclarent qu’il faut arrêter de donner des petites voitures aux garçonnets et des poupées aux fillettes. Le «genre» devrait pouvoir s’épanouir libre de contraintes socialement construites. Que l’État mette – de manière obligatoire – un fusil, voire un char d’assaut, dans les mains d’hommes suisses de vingt ans est à l’évidence contraire à toute préoccupation des gender studies. Sans compter que cela perpétue le modèle familial ancestral de l’homme qui guerroie ou s’y entraîne pendant que madame reste avec les enfants.

Pour un socialiste, l’armée n’est guère réformable pour autant. C’est son principe même qu’il attaque. Une armée a pour mission centrale de défendre l’existence d’un pays. L’individualiste égalitaire ne peut concevoir l’existence d’une nation. S’il n’y a plus de nations, il n’y a plus d’armées. Et s’il n’y a plus d’armées, il n’y a plus de guerres. Cela correspond à une philosophie de gymnasien idéaliste.

La Confédération est une alliance militaire de cantons souverains. Le PS nie l’existence des cantons, partant celle de la Confédération, en s’opposant à l’armée.

Or, le texte de l’initiative du GSsA ne demande pas l’abrogation de l’armée. Il ne prévoit que la suppression de l’obligation de servir. Tout le monde s’accorde sur un point: la suppression de la milice mènerait inexorablement à une professionnalisation de l’armée. Le plus grand danger que représente une armée suisse professionnelle réside dans les concessions politiques de principe auxquelles elle nous pousserait. Elles seraient dues à notre impossibilité budgétaire à entretenir une telle armée.

Nous ne pourrions ainsi échapper à la privatisation de secteurs entiers de l’armée. Nous vivrions de même une nécessité de mutualisation internationale des compétences (aux Français l’armée de terre, aux Anglais la marine, aux Suisses la logistique, aux Américains le commandement). Elle mènerait droit à l’adhésion de la Suisse à des organisations militaires supranationales et, in fine, à la guerre outre-mer. Nous participerions alors à ce que certains appellent des «opérations de police impériale aux marches de l’empire occidental»2. La neutralité serait enterrée.

Une telle position est lourde de conséquences. Ceux qui la défendent doivent se préparer au pire: voir de jeunes Suisses mourir sous le soleil afghan, ou sous celui de quelque territoire envahi par l’OTAN. Ces jeunes n’auraient commis d’autre erreur que de s’engager dans l’armée parce qu’ils n’avaient plus d’autre espoir de survie économique et sociale.

Certains sont favorables à une telle évolution. La récente volonté du Conseil fédéral de réformer le Conseil de sécurité de l’ONU et d’éventuellement y siéger favorise de telles pentes idéologiques.

L’initiative du GSsA a l’avantage de révéler cette contradiction. Pour les plus aventureux de ses partisans, elle n’en est pas une. Si notre armée se transforme en force de police mondialiste et égalitaire, elle n’est plus une armée à proprement parler. Elle défendrait en effet une idéologie, dissimulant souvent mal les intérêts économiques des grandes puissances. La défense et la sécurité des confédérés passeraient tout bonnement à la trappe. La France et ses 100’000 hommes de l’armée de terre est incapable d’assurer la sécurité de son territoire, même en cas de désordre léger3.

A long terme, le parti socialiste s’oppose à l’existence de l’armée. A court terme, il est prêt à sacrifier la neutralité à son idéologie internationaliste. Sa promesse de 1935 est violée à un double titre. La conséquence doit en être sa sortie du gouvernement fédéral. On ne peut pas gouverner ce dont on nie l’existence.

Notes:

1 Delacrétaz Olivier, «Un parti opposé à l’armée n’a pas sa place au gouvernement fédéral», La Nation n° 1902, 19 novembre 2010.

2 Vallélian Patrick, interview de Bernard Wicht, «A travers ces soldats assassinés, c’est l’Occident qui est visé», L’Hebdo, 30 mai 2013, p. 18.

3 Général de corps d’armée de Crémiers Robert, «La suspension du service national français», in Servir pour être libres, Cahiers de la Renaissance vaudoise n° 151, Lausanne 2013, p. 39.

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