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On n’en a pas fini avec le Moyen Age

Claire-Marie Schertz
La Nation n° 1997 11 juillet 2014

Souhaiter corriger toute mention erronée au Moyen Age témoigne d’une bien grande ambition. Une petite anecdote, symptomatique d’un malaise lexical, nous a fait réagir. Le 10 mai dernier était «célébrée» la journée commémorative du souvenir de l’esclavage et de son abolition, nouvel usage de la République française depuis 2001. Interviewée sur France Info dans le cadre d’un reportage sur La Rochelle et Nantes, une jeune Rochelaise affirme que l’esclavage, «c’est moyenâgeux». On note l’anachronisme flagrant d’une telle référence, dans un contexte de mémoire d’un phénomène de l’époque dite «moderne». Dans l’Europe médiévale, on ignorait simplement l’existence du continent américain. Impossible donc de pratiquer la traite négrière de l’autre côté de l’Atlantique, avant Christophe Colomb! Le raisonnement n’est pas compliqué, et il est certain que la jeune femme mentionnée plus haut le suivrait volontiers. Mais pourquoi cette idée tenace d’un Moyen Age boueux, constamment violent et dénué de toute civilité? Voilà pourtant déjà trente-sept ans que Régine Pernoud a offert au public le brillant et très accessible Pour en finir avec le Moyen Age. Or l’expression «on n’est plus au Moyen Age» est encore bien vivace. Que faire pour y remédier?

Commençons par relativiser. Le Moyen Age n’est en effet pas le seul à souffrir d’une image ternie, faute d’avoir été correctement enseigné (entre autres raisons). Certaines personnalités sont particulièrement touchées, à l’instar de Victor Hugo, dont le poème «Le Crépuscule» était à commenter au baccalauréat de français le mercredi 18 juin 2014. En quelques heures, le réseau social twitter comptabilisait déjà des milliers de réactions de jeunes bacheliers: ces insultes et diverses menaces de mort (!) à l’égard de l’auteur du XIXe siècle ne seront pas reproduites ici, non seulement en raison de leur caractère particulièrement vulgaire voire dégradant, mais aussi à cause d’un niveau d’orthographe indigne même d’un élève de dix ans. Le poème a quand même su toucher quelques élèves qui l’ont trouvé cool et ont apprécié le flow de l’auteur. On est bien rassuré. Mais fermons cette parenthèse.

Y a-t-il une recette miracle? Le mal essentiel fut fait au moment où l’on a qualifié la période entre l’Antiquité et les hommes de la Renaissance de «moyen âge». Comme si une époque «intermédiaire» de l’histoire de l’Humanité pouvait durer mille ans! Mettre des majuscules à son nom permet déjà aux médiévistes de rétablir un peu la considération qu’on lui doit. Les publications scientifiques comme à large public, les expositions, la restauration des monuments historiques ou encore la redécouverte de la musique médiévale (et nous en passons) mettent au jour régulièrement, et depuis longtemps, les trésors de cette riche et longue époque. C’est en valorisant l’héritage intellectuel, religieux et artistique du Moyen Age qu’on lui rendra le meilleur hommage.

Michel Zink, qui occupe la chaire des Littératures de la France médiévale au Collège de France, nous offre une belle surprise en ce début d’été 2014. Depuis le trente juin, du lundi au vendredi à 15h55 sur France Inter, vous pouvez l’entendre vous souhaiter la «bienvenue au Moyen Age»1. Cette chronique de quatre minutes ouvre une fenêtre quotidienne sur les plus beaux textes de troubadours, romans poèmes narratifs, et en dévoile les aspects les plus fascinants.

L’ère d’internet fait aussi des merveilles. Nos lecteurs devraient visiter prochainement la plateforme e-codices2, sur laquelle ils pourront visionner l’intégralité de mille cent quarante cinq manuscrits (à ce jour) sur les six mille que possèdent bibliothèques, couvents, fondations et archives cantonales et communales de Suisse. Depuis bientôt dix ans, les responsables du projet ont pour objectif de tous les numériser, grâce à deux appareils de très haute sensibilité, situés à l’abbaye de Saint-Gall et à la fondation Bodmer (Cologny). La qualité des reproductions est irréprochable. Voilà donc des moyens faciles d’apprivoiser ces livres et textes centenaires et de (re)découvrir un Moyen Age haut en couleurs et riche en savoirs.

Notes:

1 Pour écouter et podcaster toutes les émissions, visitez franceinter.fr/emission-bienvenue-au-moyen-age.

2 Il s’agit de la Bibliothèque virtuelle des manuscrits en Suisse. La plateforme e-codices.unifr.ch offre aussi une application pour la consultation des manuscrits sur tablette et smartphone. Parchemins et papiers filigranés sont sur tous les supports! 

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