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Les chroniques de Chesterton

Lars Klawonn
La Nation n° 2048 8 juillet 2016

Saint Georges est le patron de l’Angleterre. Personnifiant l’idéal chevaleresque, il est aussi le patron des chevaliers, représenté à cheval, en armure, portant un écu et une bannière d’argent à la croix de gueules. Cette bannière blanche à croix rouge, qui fut celle des croisés, deviendra le drapeau national de l’Angleterre. Son combat contre le dragon symbolise la victoire de la foi sur le mal. L’histoire de ce martyr – victime des persécutions antichrétiennes, il survit miraculeusement à tous les supplices avant de finir par être décapité – incarne tout ce que G. K. Chesterton aime: l’héroïsme, le combat, le côté mythique et populaire de ce saint, le surnaturel médiéval.

L’œuvre tellement vaste de cet écrivain anglais catholique est le résultat d’une phénoménale puissance de travail dont un article, même long, ne saurait rendre toute la substance. Cependant la récente parution du livre Saint Georges et le Dragon donne la formidable occasion, à tous ceux qui s’y intéressent, de s’initier à cette œuvre. Il s’agit d’un choix d’articles que Chesterton publiait dans L’Illustrated London News des années 1920-19301.

Dans ces chroniques, notre auteur aborde une foule de sujets: la politique, la vie spirituelle, la littérature, l’art, la philosophie, le sport, la théologie, la morale, la guerre, l’histoire, la démocratie, l’économie, l’athéisme, le puritanisme, la monarchie, etc. Aucun de ces sujets n’est présenté dans le seul souci de délivrer une connaissance en soi. Bien au contraire, ils sont tous traversés par une pensée surprenante et originale, pleine d’esprit, généreuse et mordante. On y trouve des analyses précises, lumineuses et portées par le souci de rendre tangible les dérives du monde contemporain à Chesterton, de faire apparaître les contradictions, les errements et les vices d’une époque déréglée autant que les évolutions souhaitables.

Mais qui est Gilbert Keith Chesterton? Critique, polémiste, romancier, poète, essayiste, dessinateur, biographe, il est encore aujourd’hui surtout connu pour le cycle policier de Père Brown (1911-1929). Il était le contraire d’un spécialiste, un homme qui s’intéressait à tout, un fabulateur doué et un boulimique des mots d’esprit. La première chose qui détonne quand on lit ses chroniques, c’est leur fraîcheur et leur singulière indépendance d’esprit. C’est un penseur combatif, radicalement insoumis et anti-consensuel. Nullement arc-bouté sur une doctrine et ne répondant pas aux calculs d’une stratégie ou d’une idéologie, il est animé par le message évangélique et les valeurs de la chevalerie. Pour lui, la littérature était une aventure solitaire. Hautement jouissif et plein d’humour, aimant les affrontements, les batailles incessantes et les joutes, il cherchait la vérité en toute chose et au-delà des partis pris politiques ou théologiques.

Le plus souvent, il commence sa chronique en se référant à une publication récente, un livre ou un article dans un journal, ou à un débat actuel. Ensuite il creuse le sujet à traiter et cite de nombreux écrivains, poètes, historiens, critiques d’art, etc. Il prend soin de bien distinguer une chose de l’autre, ce qui n’est pas chipoter sur les mots, comme diraient les goujats intellectuels, mais, bien au contraire, développer une pensée, l’approfondir et l’arrimer; c’est aller contre le «chaos de généralisation» qui est celui de l’homme moderne. Fatigué de fournir «un effort de pensée», il préfère le vague et l’indéfini qui tend vers «le néant». Finalement, l’auteur de l’Auberge volante ne se prive pas de démasquer dans ses chroniques la pensée adverse qu’il connaît comme sa poche et, chose très rare, qu’il respecte comme sa propre pensée à condition qu’il y en ait et qu’elle mérite qu’on la respecte.

Prenons par exemple sa chronique sur la satire: il dit qu’elle est le contraire de la violence et de la grossièreté, qu’elle nécessite un niveau élevé de civilisation et de raffinement et constate que la satire politique et sociale est un art perdu avant d’expliquer pourquoi. D’après lui, la satire exige une connaissance non pas générale mais très précise des qualités et des défauts de son adversaire. Or, incapable d’estimer son adversaire à sa juste valeur, l’homme moderne confond la satire, l’invective et la diffamation. Par vanité et paresse intellectuelle, il préfère faire passer son adversaire pour un imbécile. Chesterton écrit: «Nos contemporains s’imaginent qu’on peut frapper un adversaire en ignorant ses mérites. Quelle erreur!»

Si notre écrivain pense que le salut de notre civilisation est dans un retour en arrière, ce n’est pas parce qu’il est un incorrigible passéiste, mais parce qu’il considère que le Moyen Âge était la période civilisée et la civilisation moderne son déclin. «Ce qui manque le plus à l’homme moderne, c’est le sentiment de l’honneur, cette idée qu’il existe au-dessus du travail, de la réussite et de l’argent quelque chose d’impondérable qu’on ne peut évaluer, ni comptabiliser.»

Chesterton était un homme jovial, imprégné de vieilles légendes, d’héroïsme et de chevalerie, un bon vivant sans doute, comme tous les vrais catholiques, un homme heureux en même temps qu’interpellé par le spectacle du monde. Il détestait viscéralement toute forme d’hypocrisie et de mensonge. Dans sa chronique magistrale intitulée Sur l’essai, s’exprime son amour pour le monde médiéval et son modèle de la thèse qu’il oppose au genre de l’essai: «L’homme médiéval écrit des thèses, il cherche à prouver, à démontrer et à argumenter, alors que l’homme moderne écrit des essais et donne ses impressions.» Parmi les merveilles que nous réserve la lecture de ses chroniques, celle de nous redonner le goût des siècles médiévaux n’est pas la moindre.

Notes:

1 G.K. Chesterton, Saint Georges et le Dragon, chroniques, L'Age d’Homme, 2016.

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