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L’Ecole de culture générale perd-elle sa culture?

Yves Gerhard
La Nation n° 2169 26 février 2021

Depuis une réforme partielle de la structure des gymnases en 2015, les établissements gymnasiaux comportent une Ecole de maturité, une Ecole de commerce et une Ecole de culture générale. Cette dernière, qui dure trois ans, est elle-même, dès la deuxième année, subdivisée en options: socio-pédagogique, artistique, santé, socio-éducatif, et communication et information, cinq options bien distinctes. Dès 2021, ce seront même six options qui seront proposées, avec de nouveaux intitulés: arts et design, musique, communication et information, santé, pédagogie et travail social.

L’occasion de cet article est évidemment la décision récente de supprimer la culture antique, discipline à part entière enseignée en 2e année dans les options «artistique» et «socio-pédagogique». Un excellent article dans 24 heures du 9 février montre l’enjeu qui se cache sous cette suppression. Et merci à Bénédicte pour son dessin Alea jacta est!

Dans ce changement, une vaste portion de notre passé européen disparaît de cette filière générale. Le public de cette voie, que nous connaissions bien pour y avoir enseigné le français, la correspondance commerciale et, précisément, la culture antique, est une terre assoiffée de savoir: les élèves s’intéressent à tout, pourvu que la matière soit présentée d’une façon un peu attrayante. La poésie épique, avec L’Odyssée ou L’Enéide, les fascine par les personnages énergiques, habiles, séducteurs aussi, qui surmontent tous les obstacles pour parvenir à leur but et remplir leur mission. La découverte de sites archéologiques par des vidéos, de la vie quotidienne par quelques scènes tirées de péplums, de l’architecture des théâtres et des temples antiques, tout cela les sort de leur quotidien scolaire, parfois fait de listes de vocabulaire ou d’exercices fastidieux et répétitifs. Nous avons, dans ces cours, appris à nos élèves à lire le plan d’un bâtiment, à voir dans les dieux de la mythologie des caractères humains (une personnalité jupitérienne, par exemple), à discuter des priorités en lisant Antigone, héroïne de leur âge. Les classes tournées vers la réflexion philosophique ont étudié Le Banquet de Platon et ses points de vue sur l’amour. Celles qui étaient plus concrètes ont été touchées, même émues, à la vue de l’inscription de Vidy où «de vrais Romains» ont gravé dans la pierre les mots « nautae lacu Lemanno »… Jules César et les Helvètes, les voies romaines qui anticipent les autoroutes d’aujourd’hui, Périclès et la démocratie grecque, les Jeux olympiques, les débuts du christianisme ou encore, plus anecdotiques, les noms latins de nos voitures (Volvo, Audi, Dacia, Astra, Insignia, Modus, Vel Satis, Ignis, Prius…), les sujets sont aussi nombreux que variés. Une grande liberté est laissée aux maîtres, qui peuvent ainsi partager leurs passions.

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Pourquoi supprimer un tel enseignement? La raison en est bien simple: les organismes scolaires fédéraux sont conçus majoritairement en Suisse alémanique, où l’enseignement doit avoir avant tout un but pratique.

Dans l’Ecole de culture générale, on en arrive à une caricature de formation gymnasiale. Non seulement la culture antique va disparaître, mais déjà dans les options actuelles, la philosophie et la psychologie sont absentes de l’option «communication et information», et plus grave encore à notre avis, les sciences expérimentales n’existent plus dans les options «artistique», «communication et information» et «socio-éducative», option la plus orientée vers la future activité professionnelle, avec des stages de dix semaines. D’ailleurs chaque option ne prépare qu’à la maturité spécialisée du même domaine de formation.

Nous avons besoin d’une jeunesse qui connaisse ses racines gréco-romaines et qui ait aussi des connaissances de base solides en sciences. C’est l’Empire romain qui a organisé la «Cité des Helvètes», qui a permis que nous parlions français en Suisse «romande», qui nous a légué l’écriture, l’urbanisme, le droit, le calendrier, la religion chrétienne, et bien des techniques (la tuile, la maçonnerie, la construction en pierre…). C’est à la Grèce que nous devons les genres littéraires, la monnaie, l’alphabet, la médecine rationnelle, la méthode empirique, le sens critique dans la réflexion, la rhétorique.

Dans le domaine scientifique, va-t-on voir se répandre les «platistes», qui croient que la Terre est plate? ceux qui ingurgitent le désinfectant hydro-alcoolique, comme d’aucuns? ceux qui sont persuadés que le début du printemps dépend du calendrier? Nous donnons exprès des exemples caricaturaux, mais faites une petite enquête auprès de jeunes de 18-20 ans, et vous verrez vite les lacunes de leur culture scientifique élémentaire.

Oui, l’Ecole de culture générale a perdu sa culture. Elle est devenue une école pré-professionnelle pour satisfaire aux impératifs des formations en HES. De deux, les options ont passé à quatre, puis à cinq, et depuis la rentrée 2021 à six, avec de nouveaux intitulés. Pourquoi? M. Berset, occupé par d’autres soucis, a laissé les technocrates suisses-alémaniques faire la loi dans nos écoles! Vous pouvez le vérifier dans chaque paragraphe de la brochure Ecole de culture générale du DFJC: sous vd.ch, vous recherchez cet intitulé, puis vous trouvez le Plan d’études (année scolaire 2020-2021). La lecture de l’introduction est édifiante! Dans la petite vidéo, fort sympathique par ailleurs, les élèves ne parlent que de projets professionnels!

Avec une volonté politique affirmée, on doit reprendre les intitulés généraux sur les buts du gymnase: préparer les élèves aux formations exigeantes en leur donnant une culture générale solide, en développant leur esprit critique et en leur apprenant à travailler de façon autonome. Puis la mise en musique appartient aux autorités cantonales.

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