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Autoportrait rectifié

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1786 9 juin 2006
L’idée que les habitants d’un pays se font d’eux-mêmes correspond-elle nécessairement à la réalité? Le journal Coopération N° 13 du 29 mars nous présente, sous la plume de M. Didier Walzer, une étude internationale consacrée à ce thème, à laquelle l’Université de Lausanne a participé sous la direction de M. Jérôme Rossier, professeur à l’Institut de psychologie. L’étude, qui porte sur quarante-neuf cultures, par quoi il faut entendre quarante- neuf langues ou pays, se fonde sur une comparaison entre le comportement individuel d’un certain nombre de personnes – plus de mille pour la Suisse romande – et la représentation que d’autres personnes du même groupe culturel se font de leur identité collective.

Les auteurs sont prudents et évitent de généraliser ou de radicaliser leurs constats. Ils disent: «Les Espagnols sont plutôt peu ouverts, plutôt agréables et plutôt consciencieux».

Globalement, les Suisses se jugent plus consciencieux et travailleurs qu’ils ne le sont effectivement: ils sont en réalité juste «un peu plus consciencieux» que la moyenne des quarantehuit autres groupes analysés. En revanche, ils sont plus ouverts qu’ils ne le croient eux-mêmes, et d’ailleurs que ne l’attendaient les enquêteurs. C’est vrai pour les Suisses romands mais plus encore pour les Suisses alémaniques, qui manifestent une grande facilité de contact.

Oui, c’est ennuyeux à dire pour notre vanité, mais c’est un fait que les Suisses allemands ont concrètement plus de dispositions à l’ouverture que les Vaudois. Ils sont même parmi les plus ouverts de toutes les populations étudiées. Ils sont eux-mêmes avec énergie et sans complexes, assez pour être à l’aise avec autrui. Ils n’ont aucune gêne à baragouiner une autre langue ni à travailler dans d’autres pays. A l’inverse, le discours romand d’ouverture sur le monde, autre stéréotype banalisé depuis la campagne sur l’EEE, n’est souvent qu’une logorrhée visant à compenser un certain repli sur le local et le quotidien.

A quoi est dû notre sentiment d’être fermés, dont l’importance de nos échanges avec le reste du monde comme la présence d’innombrables étrangers dans nos murs démontrent quotidiennement la non-pertinence? Peut-être à ceci: les cantons suisses n’ont pas connu de révolutions sanglantes à la fin de l’Ancien régime; leur économie a profité durant presque trois générations d’une paix sociale inconnue ailleurs; enfin, leur neutralité obstinée leur a évité les aventures de deux guerres mondiales. En un mot, les Suisses n’ont pas assez souffert. Nous serions trop heureux depuis trop longtemps. Cela fait de nous des embusqués de l’histoire.

A la fin du «Camp des Saints», Jean Raspail écrit avec une admiration réelle quoique modérée: «Etonnant petit pays! objet de risée depuis longtemps déjà, parce qu’il se contentait de vivre heureux sans se déchirer de remords et que l’élévation de sa pensée ne dépassait guère la poursuite d’un bonheur un peu terre-à-terre.»

Peut-être la réussite matérielle durable des Suisses a-t-elle fini par mettre en lumière des manques qu’une vie plus dure camouflait, ou peut-être comblait. Une trop longue prospérité peut engendrer un certain dégoût de la vie, non la prospérité elle-même, sans doute, mais la satisfaction un peu courte qu’elle engendre et qui finit par tout envahir comme une mauvaise graisse, y compris l’intelligence, y compris la sensibilité, y compris la force. Naît alors la mauvaise conscience suscitant chez certains le désir enfantin de vivre des événements «historiques», de larguer les amarres, de «s’ouvrir au monde».

Fondé ou non, le sentiment que les Suisses ne sont pas assez ouverts a été sollicité sans mesure et sur tous les tons médiatiques dès après la guerre par tous ceux qui considèrent le patriotisme comme étant de soi un facteur d’inégalités et de guerre. Le stéréotype s’en est trouvé renforcé, malgré les évidences qui le contestaient.

Les préjugés identitaires avec leurs aspects simplificateurs étant inévitables, autant qu’ils soient pertinents. Cette étude contribue heureusement à rectifier ceux qui nous concernent.

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