De la saleté 2: éloge de la panosse
Du petit tissu qui porte le logo de votre opticien et qui sert à nettoyer vos lunettes, à la grande machine municipale qui rend nos rues vierges de tout détritus, il n’y a qu’une différence de degré: il faut nettoyer. Et de la grosse nettoyeuse municipale à l’extraordinaire engin auquel sont suspendus les ouvriers amérindiens qui, comme on le sait, ne sont pas sensibles au vertige, et qui nettoient les immenses surfaces vitrées des gratte-ciel newyorkais, il n’y a qu’une différence de degré: il faut nettoyer.
Le nettoyage ne suppose pas nécessairement l’intrusion de gens mal élevés qui jettent leurs mégots ou leurs canettes sans aucun égard, car même l’absence de toute personne active, le désert d’un immeuble vide et remis à son propriétaire parfaitement propre, n’empêche pas cette fatalité: la formation de la poussière. Elle se dépose partout par un phénomène étrange dû, semble-t-il, à la légèreté des particules qui la composent, d’un diamètre inférieur à 1 000 micromètres, et qui proviennent de la décomposition inéluctable de toute chose «ayant eu vie» comme dirait Jean de la Fontaine. La poussière, c’est donc la préfiguration de la Mort. Le nettoyage a pour fonction première de nous en éloigner, de dissiper cette réalité du retour de toute chose, de tout être, nous compris, à la poussière.
Eh bien, la panosse, terme dont la consonnance est autrement plus évocatrice que la «serpillière» française, la panosse donc, dans son humble, efficace et quotidienne fonction, nous délivre de la hantise de la mort. Certes, on objectera que d’autres engins peuvent lui disputer ce rôle, à choisir dans l’arsenal des pattes, brosses en tout genre, torchons, chiffons et balais. On note à ce sujet que, jalouse du manche à balai, la panosse du XXIe siècle est, elle aussi, pourvue d’un manche, ce qui marque un progrès extraordinaire dans notre lutte séculaire contre toute forme d’abaissement. Avec ou sans manche, elle conserve néanmoins une sorte de suprématie, illustrant l’adage: qui peut le plus peut le moins. Elle est irremplaçable partout où elle a passé. Et si vous pensez, lecteur, que j’abuse de votre crédulité, que j’aurais dû revoir mon texte avant de l’envoyer à la Rédaction, que ne vous ai-je donc proposé que vous le panossassiez!
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un autre regard – Editorial, Félicien Monnier
- Des choix prudents à la session d’été du Parlement fédéral – Lionel Hort
- Pourquoi nous sommes tellement américains et si peu russes – Jean-Blaise Rochat
- Top Gun – Simon Laufer
- La porte ouverte – Olivier Delacrétaz
- 2e révision de la LAT: nous voulons un train de sénateur – Olivier Klunge
- Souveraineté éolienne – Jean-François Cavin
- Les libéraux dans l’embarras – Jacques Perrin
- Occident express 101 – David Laufer
- Guerres et paix – Le Coin du Ronchon