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Violence

Jacques Perrin
La Nation n° 2224 7 avril 2023

1. Genève, août 2018: à la sortie d’une boîte de nuit, une femme, traitée de «grosse» par un homme, l’insulte en retour. L’homme réplique par des coups au ventre et à la tête. L’individu est rejoint par trois autres hommes. Quatre femmes assistent à la scène et interviennent pour défendre celle qui est battue. L’une d’elle est jetée au sol et rouée de coups. Elle subira une opération au cerveau en urgence. Les quatre hommes, Chablaisiens français, âgés de 22 à 24 ans, écoperont de 8 à 4 ans de prison.

2. Sorens, mars 2020: deux Macédoniens, un quadragénaire et son fils de 23 ans, ont versé 34 000 francs à un agriculteur fribourgeois pour acheter trois tracteurs d’occasion. Or les trois tracteurs n’appartiennent pas à l’agriculteur qui a déjà dilapidé les 34 000 francs. Les Macédoniens viennent chercher les véhicules. L’agriculteur qui pressent que les choses tourneront mal a préparé un fusil de chasse avec lequel il abat les deux hommes. Il tente de les achever à coups de crosse. Le plus jeune meurt noyé dans la fosse à purin où l’agriculteur jette les corps. Le Fribourgeois est condamné à perpétuité.

3. Gare de Morges, septembre 2020: un Suisse d’origine turque, Omer, assassine à coups de poignard un Portugais attablé avec sa compagne dans un kebab, au nom d’Allah et de l’Etat islamique. Auparavant, il a voulu faire sauter une station-service à Pully. Il a été emprisonné. A sa libération, il devait se présenter régulièrement au poste de police, ce qu’il a omis de faire à plusieurs reprises.

4. Porrentruy, collège Stockmar, février 2023: un maître dit à un élève de 15 ans, assoupi: Si tu veux dormir, retourne à la maison! L’enseignant regrette ses propos car l’ado est sous sa responsabilité durant les heures de cours. Le ton monte. Le maître verrouille la porte à clef pour empêcher l’élève de sortir. Celui-ci assène un coup de poing à son professeur sexagénaire qui perd l’équilibre. Il le roue de coups de pied et l’insulte sous le regard de ses camarades. Naguère, l’élève, qui a un casier judiciaire, avait été placé dans l’Unité hospitalière psychiatrique pour adolescents de l’Hôpital de Moutier.

5. Gare de Morges, août 2021: un homme en provenance de Zurich, fils d’un Suisse blanc et d’une Sud-Africaine noire, prénommé Roger, mais appelé Nzoy par ses amis, erre sur les voies. Deux patrouilles de police arrivent sur les lieux. Nzoy tient un couteau et marche en direction d’un policier. Celui-ci prend peur et somme Nzoy de lâcher son arme. L’individu accélère et l’agent tire trois coups. Nzoy reste quatre minutes étendu sans recevoir de soins et meurt. L’affaire n’est pas encore jugée. L’agent invoque la légitime défense. On apprendra plus tard par ses amis que Nzoy souffrait d’un profond désarroi et de fatigue psychique.

6. Dans l’Etat américain du Tennessee, janvier 2023: un Afro-américain de 29 ans, Tyre Nichols, ayant commis une infraction au code de la route, est tabassé par cinq officiers du Memphis Police Department. Il décède trois jours plus tard. Une nouvelle affaire George Floyd? Joe Biden est indigné. George Floyd avait été asphyxié par l’agent Derek Chauvin inculpé avec trois autres collègues de non-respect des droits constitutionnels de Floyd, notamment de celui de ne pas être victime d’un usage déraisonnable de la force par un policier. Un nouveau crime raciste? Il se trouve que les cinq agents ayant tué Nichols sont eux-mêmes afro-américains.

Pourquoi cette liste de méfaits? Nous voulons comprendre la violence. Au cours d’une vie paisible, nous n’avons infligé de violence à personne et n’en avons point subi. Nous ne nous souvenons que de corrections (trivastes en vaudois) administrées par des instituteurs à des enfants incapables de se mettre en rangs après la récréation. A défaut d’expériences vécues, nous avons recours aux journaux.

La violence s’en prend au corps d’autrui. Les violences verbales comptent moins. La violence est faiblesse. Des êtres faibles peuvent être violents, les êtres forts savent se contenir. La force, vertu adossée à la justice, s’oppose à la violence, de même que la parole et le dialogue. Le violent s’attaque à plus faible que lui: une bande de sauvages ivres ou drogués s’acharnent sur un individu; un homme sur une femme ou un enfant; un adolescent grand et vigoureux sur un vieillard; un homme armé sur des personnes désarmées; un bourreau sur un pauvre diable enchaîné. La violence ne connaît pas de limites, la force oui. L’usage de la force est proportionné, se déployant en vue d’une fin juste. Notre force, qu’il faut cultiver et entretenir, nous la rétablissons en nous reposant. Elle peut dégénérer en violence à cause de la peur, de l’épuisement, du besoin de vengeance. Les forces de l’ordre, militaires ou policières, indisciplinées, mal formées ou mal commandées, défaites, se livrent parfois à des représailles cruelles. La limite entre force et violence n’est pas toujours nette.

Les sociétés occidentales sont, en gros, pacifiées, ayant quelque peu enrayé le cycle des vendettas, au point que, obsédés d’inclusivité, nous surveillons mal les violents (cas 3 et 4), les tenant pour des malades psychiques. Nous ne connaissons la violence extrême que grâce aux écrans, aux vidéos de djihadistes ou de narcotrafiquants mexicains. La guerre en Ukraine nous navre, mais nous connaissons mal l’histoire. Allemands, Russes, Polonais, Baltes, Ukrainiens, Serbes et Croates n’ont jamais entretenu des relations d’une grande douceur. Au XXe siècle, la sauvagerie la plus abjecte a régné dans maintes contrées d’Europe orientale.

Dans les cas choisis, des noms étrangers apparaissent. Par la mondialisation et les migrations, des mœurs rudes dont nous avons perdu le souvenir font leur retour. S’imposeront-elles ou les nouveaux venus s’adouciront-ils? Les accusations de racisme anti-Noirs prospèrent sous le ciel helvétique, dans l’esprit de Black Lives Matter. Pensons à l’affaire Nzoy (cas 5), à celle de Mike Ben Peter, Nigérian décédé en mars 2018 à Lausanne d’un arrêt cardiaque après une interpellation musclée. Six policiers seront jugés en juin. Ou encore au Congolais abattu à Bex en 2016 par un policier vaudois que le Tribunal cantonal acquitta parce qu’il avait agi en état de légitime défense.

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