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Une écologie politique, enfin!

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1791 18 août 2006
Interrogé par la Télévision suisse romande lors de son voyage aux Etats- Unis, M. Pascal Couchepin a plaidé pour un traité de libre-échange agricole avec l’Union européenne, grâce auquel «le consommateur paierait moins cher». Et si je ne veux pas payer moins cher? Ou du moins, si je ne veux pas payer moins cher à n’importe quel prix? Que m’importe de payer mon litre de lait deux ou trois sous de moins si c’est au prix de la ruine de l’agriculture suisse? A quoi sert-il de payer de moins en moins pour la nourriture, s’il n’y a plus personne pour la produire chez nous? Un échange honnête doit satisfaire les deux parties.

La réduction de la politique à l’économie et de la qualité au coût, la complaisance idolâtrique à l’égard du marché, l’aveuglement aux réalités autres que financières sont actuellement la règle à Berne.

Aussi est-ce avec bonheur que nous avons lu le document intitulé «Consommez suisse!», publié par le groupe «Ecologie libérale» à l’occasion du 1er août. Ce document amorce l’intégration tant attendue de l’homme à la perspective écologique. Des écologistes reconnaissent enfin ce fait que les communautés politiques sont les niches écologiques spécifiques aux humains, que chacune d’elles constitue un ensemble organique, que chaque culture représente la façon humaine d’être naturel et qu’à ce titre, elle doit être protégée.

Les thèmes de cette publication sont multiples: diminuer la pollution due au transport par camion d’innombrables denrées étrangères que les Suisses produisent aussi, souvent plus cher, certes, mais pas toujours; éviter d’inciter certains pays étrangers à surproduire, quitte à assécher leur sol, ou à le stériliser par un recours excessif aux engrais et aux pesticides; leur éviter encore la tentation de la monoculture; rétablir un certain rapport entre la consommation et les saisons, éviter par exemple que les produits suisses ne soient précédés de quelques semaines par des produits du Sud qui saturent le marché et le consommateur.

Au-delà de ces considérations écologiques classiques, «Ecologie libérale» en appelle à soutenir nos paysans. Là se trouve la nouveauté essentielle, car les écologistes ont toujours considéré les paysans avant tout comme des pollueurs à surveiller de près. Le communiqué rappelle que les produits agricoles suisses sont de qualité et qu’ils satisfont les deux tiers de nos besoins en nourriture. Il rappelle aussi que les paysans n’en sont pas moins une espèce en voie de disparition. Beaucoup sont devenus les esclaves des grands groupes alimentaires qui leur imposent des conditions léonines, tout en les lâchant sans états d’âme, comme on l’a vu avec les producteurs suisses de dindes, si le marché, toujours lui, en décide ainsi.

Enfin, «Ecologie libérale» mentionne le livre de René Longet «Pourquoi manger local?»: «Elle (l’alimentation, réd.) est le reflet d’un terroir, d’un climat, de la vue d’un sol, de sélections végétales et animales, de représentations mentales, culturelles et religieuses. Chaque région a développé au fil des siècles ses spécificités culinaires, parce que l’acte de manger, c’est aussi une façon de se situer dans ses racines culturelles.»

La formule «Ecologie libérale» rappelle judicieusement que l’alliance entre les socialistes et les écologistes est une alliance contre nature. Les socialistes croient à la maîtrise technique intégrale de la nature, alors que les écologistes jugent l’intervention humaine généralement dommageable pour la nature et s’efforcent de concéder à celle-ci une plus grande autonomie par rapport à l’homme. Les uns sont des sectateurs du progrès, les autres le craignent plutôt. Le rapprochement entre les deux est de nature essentiellement électorale. Les bisbilles actuelles entre les verts et les roses font penser qu’on pourrait en voir la fin prochainement.

Est-on sûr pour autant que l’adjectif «libéral», surtout dans son sens moderne, convienne mieux à l’écologie que celui de «socialiste»? Sur le fait que la nature est à la libre disposition de l’homme, sur la croyance au progrès, sur le primat de l’économique, la pensée libérale n’est pas très différente de la pensée de gauche. Elles divergent surtout sur les moyens, l’une penchant pour l’initiative individuelle et l’autre pour la planification étatique.

La perspective d’«Ecologie libérale» qui veut renouer les liens entre le consommateur et son sol, choisir la nourriture en fonction de la production indigène, en appeler à une solidarité concrète avec les paysans suisses n’est guère plus libérale que socialiste. Elle relève d’un autre registre.

Quoi qu’il en soit, une telle perspective exige que nous soyons capables de résister aux pressions des grands pays producteurs désireux d’écouler leurs propres produits agricoles. Même si l’appel d’«Ecologie libérale» s’adresse aux consommateurs et vise la mise en place de douanes individuelles («personnellement, j’achète suisse!») plutôt que politiques, la Confédération a son rôle à y jouer en empêchant que la capacité concurrentielle des paysans suisses ne soit réduite à néant par les exigences écologiques et sociales qu’elle leur impose (sans même parler de nos conditions climatiques). Mais cela ne peut se faire qu’avec un minimum de frontières. En d’autres termes, les positions d’«Ecologie libérale» débouchent tout naturellement sur l’affirmation de la souveraineté suisse et sur une réorientation de notre politique étrangère.

En outre, l’insistance nouvelle sur les relations étroites que l’homme entretient avec son milieu non seulement physique mais aussi culturel nous semble imposer, de la part d’«Ecologie libérale» un engagement de type fédéraliste, tant il est vrai que les données culturelles, non seulement la langue, mais aussi et d’abord l’histoire et la psychologie collective cantonales, continuent de différer d’un canton à l’autre.

Enfin, «Ecologie libérale» n’est pas un parti, ce qui est à saluer. Pour éviter toute ambiguïté et se faire reconnaître comme une tendance politique générale dépourvue de visées électorales, elle devrait abandonner un adjectif qui donne d’elle une image trop restreinte et partisane et se rebaptiser. Ayant retrouvé le sens de la communauté nationale et des solidarités qu’elle impose, elle aurait quelque droit à s’intituler «Ecologie politique».

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