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Les Jurassiens comme exemple

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2266 15 novembre 2024

Le 23 juin 1974, la majorité de la population des districts de Courtelary, Delémont, des Franches-Montagnes, de la Neuveville, Laufon, Moutier et Porrentruy votait pour adhérer à un nouveau Canton suisse. Cette année marque le cinquantième anniversaire de ce premier plébiscite. Il y en eut deux autres, affinant à chaque fois les choix politiques et les rattachements territoriaux.

Le 24 septembre 1978, 82,3% des Suisses acceptaient la création d’un nouveau Canton. Aucun Canton – pas même Berne – ne refusa cette modification de la liste des Etats formant la Confédération.

Mais, «du Lac de Bienne aux portes de la France…», l’hymne cantonal laissait la Question jurassienne ouverte. Le 22 septembre 2024, Jurassiens et Bernois ont accepté le concordat réglant le transfert de Moutier d’un Canton à l’autre. Prévue pour l’an prochain, son homologation par les Chambres confirmera l’abrogation de la «clause impérialiste» de l’art. 139 de la Constitution cantonale. Elle incite le gouvernement à encourager le processus d’adhésion du Jura bernois. La Question jurassienne n’a sans doute pas trouvé sa réponse définitive, mais l’adhésion de Moutier constitue une étape importante de sa résolution. Dans ce numéro spécial, Quentin Monnerat et Alain Charpilloz esquissent de manière originale les contours qu’elle pourrait adopter.

Dans une actualité générale centralisatrice, tant au niveau suisse qu’européen, les votes de Moutier de 2017 et 2021 tiennent de l’anomalie historique. Dans notre XXIe siècle déjà bien engagé, une petite communauté, qui demeure certes liée à la Confédération depuis le Moyen-Age, a décidé de changer de Canton, de pays, d’Etat. On peine à réaliser combien cette affirmation communautaire est forte.

Elle l’est d’abord eu égard à la population d’une commune soucieuse de la cohérence entre son territoire, ses institutions et sa culture. Pour cela, elle est prête à chambouler ses habitudes quotidiennes. Imaginerait-on les implications concrètes de voir Romont redevenir vaudoise? Ce que nous ne parvenons même pas à imaginer, Moutier l’a fait. Certes, Moutier n’a quitté la principauté épiscopale de Bâle que depuis 1815, pas 1536…

Elle l’est ensuite au niveau cantonal. En intégrant le Jura, les Prévôtois ont surtout choisi d’assumer un autre héritage, et donc une autre trajectoire souveraine que celle que leur proposait Berne. Leurs votes opposèrent une sublime indifférence à la servilité avec laquelle nos journalistes relaient la moindre proposition antifédéraliste.

Sans prolongement artistique, la vigueur de cette trajectoire politique serait vaine. Une force des Jurassiens fut, dès avant l’autonomie, de mobiliser leurs poètes et leurs peintres.

La plupart témoignèrent d’un étrange mélange de militantisme de gauche et d’affirmation identitaire. Les tableaux de Coghuf contre l’implantation d’une place d’armes aux Franches-Montagnes rappellent que le combat pour l’autonomie passa par une phase antimilitariste. Les colonels fédéraux se confondaient alors avec les fonctionnaires cantonaux bernois. Là réside une importante différence avec les Vaudois pour lesquels l’armée fut, dès 1817, une manière de faire plus que leur part du jeu fédéral.

MM. Yves Guignard et Eloi Chevalier rendent dans ces pages hommage à Alexandre Voisard, que les Cahiers de la Renaissance vaudoise publièrent. Avec son récent décès, les Jurassiens viennent à peine de perdre leur poète national. Depuis Ramuz, aucun de nos écrivains vaudois et pas même Chessex n’a su réendosser un tel costume. Le temps adoucit les ardeurs artistiques. Il les fait s’empâter à coups de petits fours et de subventions du Service de la culture. Les artistes jurassiens d’aujourd’hui connaissent ce risque.

Au lendemain du premier plébiscite, Marcel Regamey remerciait les Jurassiens «d’avoir mis en évidence la force de l’idée d’Etat cantonal». L’adoption du concordat sur l’intégration de Moutier nous rappelle cinquante ans plus tard que le fédéralisme et la souveraineté cantonale demeurent des réalités plus vivantes que jamais. L’épopée jurassienne doit nous servir d’exemple.

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