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La loi et le programme

Olivier KlungeEditorial
La Nation n° 2267 29 novembre 2024

Depuis quelques années, les initiatives populaires comme les autorités développent un goût pour les lois programmatiques, c’est-à dire des lois qui ne s’attachent pas, ou pas principalement, à édicter des règles de droit applicables à des cas concrets, mais à donner des objectifs et orientations générales. Comme les bonnes intentions sont plus faciles à déclarer qu’à mettre en pratique, on observe généralement une discordance entre les intentions déclarées et les moyens pour les concrétiser. Le droit environnemental raffole de fixer des buts à atteindre pour l’Etat, la population, les entreprises, souvent d’ici à 2050.

La Loi fédérale sur le climat et l’innovation adoptée en 2023 fixe un objectif ambitieux d’amener à zéro les émissions de gaz à effet de serre en Suisse en 2050, en se contentant de prévoir quelques subventions et l’établissement de «feuilles de route» pour les entreprises et la conclusion avec la «place financière» de «conventions visant à rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques»1. Le projet de Loi sur l’Energie du Conseil d’Etat vaudois prévoit le remplacement de tous les chauffages à gaz ou mazout d’ici 20 ans, sans expliquer quels ouvriers seront disponibles pour le faire, ni comment les propriétaires pourront le financer2. Les initiatives fédérales «Pour l’égalité des personnes handicapées», «Pour une économie responsable respectant les limites planétaires» ou «Pas de Suisse à 10 millions!», sur lesquelles nous voterons ces prochains mois, relèvent de la même orientation.

Certains pragmatiques ne s’inquiètent guère de la prolifération de ces lois invoquant de grands desseins, mais sans contrainte ou influence directe et immédiate sur leurs habitudes ou leurs affaires. Pourtant, ces règles de droit inapplicables affaiblissent tout le corps législatif, en mélangeant exhortation et obligation. Chaque article de loi qui n’est pas applicable, et qui ne sera donc pas appliqué, laisser penser que les règles impératives ne sont finalement que des incitations et qu’il serait illégitime de punir une infraction.

Cette abondance de lois programmatiques entraîne aussi des incohérences entre des buts contradictoires. L’objectif de production d’énergie électrique renouvelable, avec des éoliennes sur les crêtes et des parcs solaires alpins, contrevient au développement de la biodiversité. En aménagement du territoire, la densification vers l’intérieur s’oppose à la protection du patrimoine urbanistique.

Avec des lois aux programmes discordants, chaque citoyen trouve dans l’une ou l’autre la vision qui lui convient et qu’il espère voir favorisée par les autorités. Il est ensuite déçu de réaliser que ces dernières ne s’y consacrent que partiellement, poursuivant aussi d’autres objectifs. Pourquoi telle commune autorise-t-elle une construction nouvelle à la place d’un grand tilleul, pourtant protégé? Pourquoi sacrifier un biotope à l’agrandissement d’un barrage? Cette déception amène une défiance envers les institutions, dont l’action est discordante, voire perçue comme hypocrite.

Ces contradictions législatives le sont aussi pour les tribunaux censés appliquer la loi et qui doivent apprécier, dans un cas d’espèce, quelle orientation législative est prépondérante. Il en résulte une jurisprudence aléatoire qui affecte la sécurité du droit et encourage les procès, puisque les plaideurs trouvent toujours un argument dans l’une ou l’autre disposition.

Enfin, ces législations de principe, se concentrant sur des orientations générales tout en restant vagues sur les moyens, et souvent sur la manière de définir les objectifs concrets, donnent une impressionnante marge de manœuvre à l’administration qui va employer des fonctionnaires toujours plus nombreux à définir, mettre en œuvre et surveiller, souvent avec un goût du détail minutieux, des directives, plans, ordonnances et circulaires, qui ne sont pas systématiquement coordonnés entre les différents services, offices, secrétariats et directions générales.

Le parlementaire, comme le citoyen, devrait avoir à l’esprit ces effets néfastes des bons sentiments législatifs abstraits et lointains. Une loi ou une initiative doit être aussi précise que possible non seulement dans ses buts, mais aussi dans les dispositions imposant ou interdisant certaines actions. Il ne faut pas remettre à plus tard et à d’autres le soin d’en définir la portée.

Notes:

1   Voir l’éditorial de F. Monnier, La Nation no 2224 du 7 avril 2023.

2     Voir l’article d’O. Klunge, La Nation no 2236 du 23 septembre 2023.

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