Un droit de référendum légitime pour les communes
Les arguments du Conseil d’Etat ne manquent pourtant pas de piquant. Il affirme, premièrement, son attachement et son respect de l’article 139 de la Constitution qui accorde une large autonomie aux communes; mais tel n’est pas le sujet [!]. Evidemment, l’octroi d’un droit de référendum aux communes n’a aucun lien avec l’autonomie communale, ni d’ailleurs avec le fait que, depuis quelques années, l’avis des communes lors des procédures de consultation sur des lois les concernant n’est plus réellement pris en compte! L’argument frise la mauvaise foi lorsque le Conseil d’Etat va jusqu’à affirmer que l’initiative reviendrait précisément à fausser dans une mesure inacceptable les rapports voulus entre collectivités publiques. Le Canton impose depuis quelques années d’importants reports de charges concernant la facture sociale ou les écoles aux communes (et donc en définitive à leurs contribuables, qui sont, faut-il le rappeler, aussi ceux de l’Etat de Vaud). Que dire alors, du point de vue de l’équilibre entre Etat et communes, de ces reports de charges menaçant l’existence financière de ces dernières, en dehors de tout contrôle populaire?
Deuxièmement, le Conseil d’Etat rappelle que le référendum a été volontairement conçu comme un droit populaire, un instrument de contrôle démocratique, et réservé à une fraction du peuple souverain. Un élargissement de ce droit pourrait être envisagé, mais il faudrait que les nouveaux bénéficiaires de ce pouvoir puissent justifier d’une légitimité forte, ce qui n’est pas le cas des municipalités. Cet argument est inquiétant. Si les municipalités, élues au suffrage universel et composées de citoyens se dévouant (le plus souvent bénévolement) au service de leurs combourgeois, ne bénéficient pas d’une légitimité forte, qui pourrait y prétendre? Ainsi, le Conseil d’Etat semble indiquer qu’il ne considère pas les municipalités (auxquelles notre Constitution fraîchement adoptée donne la compétence de représenter les communes) comme des partenaires crédibles! Si l’Etat cantonal devait réellement considérer qu’il est, à l’exclusion des communes, la seule collectivité publique à bénéficier d’une légitimité forte pour représenter ses habitants, on comprendrait mieux certaines décisions récentes qui semblent vouloir réduire les communes à de simples percepteurs fiscaux décentralisés.
Pourtant, les municipalités bénéficient d’une grande légitimité et de la confiance de leurs administrés. Ce sont les élus locaux qui connaissent et tentent de répondre aux problèmes pratiques des citoyens, souvent déboussolés face à une administration cantonale impersonnelle.
Rappelons le succès énorme du référendum lancé par les associations de communes (UCV et AdCV) contre le report de charge des 58 puis 17 millions. L’Etat préféra alors ne pas demander au peuple d’arbitrer ce différend entre lui et les communes. Cette expérience laisse supposer que le Conseil d’Etat et le Grand Conseil n’ont peut-être pas l’exclusivité de la représentation de la population vaudoise.
Certains déduisent même de ce succès que les communes n’ont pas besoin d’un instrument propre puisqu’elles sont capables de faire aboutir un référendum populaire. Ce n’est cependant pas le cas. D’une part, il est utile pour l’équilibre des institutions que les communes puissent être représentées comme telles face à l’Etat. D’autre part, les 17 millions touchaient le porte-monnaie des contribuables. C’était un thème immédiatement accessible à tout un chacun, et donc assez facilement exploitable dans une récolte de signatures. Il existe des thèmes plus institutionnels et moins passionnels qui ne sont pas les moins importants pour l’autonomie des communes (les questions de compétence, notamment). Les municipalités sont aptes à voir rapidement les conséquences à long terme ou les risques encourus, mais risquent fort de ne pas réussir à convaincre 12’000 électeurs en seulement quarante jours.
A entendre certains officiels, on peut craindre que les pressions à la fusion des communes ne se transforment bientôt en contrainte légale. Dans ce domaine, il serait primordial que les communes puissent comme telles affirmer leur volonté de subsister et de continuer à fonctionner à la satisfaction de leurs administrés, n’engageant des processus de fusion que là où cela répondrait un réel besoin. Il ne sert à rien de célébrer des mariages forcés.
Dans son troisième argument, le Conseil d’Etat estime que l’initiative «La Parole aux Communes!» heurte le sens de l’équité, puisqu’il ne faudrait réunir que 38 communes (soit 10%) pour faire aboutir un référendum alors qu’il faut 12’000 citoyens (soit 2,6%) pour un référendum populaire. Le Conseil d’Etat feint même de croire que le référendum des communes pourrait être préféré à son grand frère par les partis politiques ou les groupes de pression.
Les communes ne sont pas de simples groupes de pression locaux, ce sont des collectivités auxquelles l’Etat a délégué une part de la puissance publique. On ne saurait croire que, pour notre gouvernement cantonal, les cinq ou sept membres d’une municipalité, réunis en conseil pour défendre les intérêts des habitants de leur commune (envers lesquels ils doivent rendre compte de leur gestion) ne sont que des contestataires incendiaires désireux d’anéantir notre système démocratique. De toute façon, l’argument ne tient pas: à supposer que quelques municipaux d’un certain parti désirent lancer un référendum par le biais des communes plutôt que par une récolte de signatures, il leur faudra encore chacun convaincre les quatre ou six membres d’autres partis siégeant dans leurs municipalités respectives afin d’obtenir le soutien nécessaire. Dans notre système de concordance, la composition des municipalités reflète les rapports de force de l’électorat. On voit mal comment des intérêts opposés à ceux de la commune pourraient alors l’emporter.
Enfin, la quatrième cartouche du Conseil d’Etat vise le manque de représentativité des communes, qui pourraient, par le biais du référendum, défendre des intérêts régionaux devant le peuple. Rappelons à notre administration cantonale centralisée que les intérêts régionaux ne sont pas par définition illégitimes et qu’un canton sain ne peut l’être que si toutes ses régions le sont aussi. L’équilibre du Canton nécessite parfois que ce dernier défende des projets régionaux (zone de développement économique d’Yverdon, M2 lausannois). De plus, personne ne s’insurge contre le fait que la Ville de Lausanne puisse, en réunissant un dixième seulement de sa population, faire aboutir un référendum populaire; il est donc équitable qu’au moins un dixième des communes vaudoises puissent également demander au peuple de se prononcer sur le bien-fondé des lois touchant à l’autonomie et aux intérêts communaux.
Le préavis du Conseil d’Etat nous donne ainsi l’impression d’un gouvernement qui a peur pour ses prérogatives, qui craint un peuple qui ne partagerait pas sa vision technocratique et centralisatrice du bien commun. Pourtant, un Etat boulimique n’est pas un Etat en bonne santé. Les communes ne sont pas un danger pour l’Etat, elles le secondent et le renforcent. Le référendum des communes est un instrument simple et efficace pour rééquilibrer les rapports entre collectivités publiques en redonnant la parole aux communes!
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Adieu à Domaine Public – Editorial, Olivier Delacrétaz
- † Le pasteur François Forel – Jean-Pierre Tuscher
- L’effondrement d’un sceptique – La page littéraire, Jacques Perrin
- Eloge de la lenteur (citation) – La page littéraire, Jean-François Manier
- Pas de complaisance pour Pinochet – Nicolas de Araujo
- Ecole publique: quelle démocratisation? – Revue de presse, Philippe Ramelet
- Le flop c’est top! – Revue de presse, Philippe Ramelet
- L'éthique et ses incohérences – Revue de presse, Ernest Jomini
- L’économie suisse entre l’Axe et les Alliés – Philibert Muret
- Vivent les petits pays! – Julien Le Fort
- L’exaspérante odeur du changement – Le Coin du Ronchon