Le jugement du peuple
Ce qu’ils attendent de l’électeur, ce n’est donc pas qu’il réfléchisse à des questions qui sont hors de sa portée, mais qu’il donne par son vote une légitimité à ceux qui détiennent le pouvoir. Cette légitimité est purement formelle: peu importe que le peuple connaisse peu et mal ceux qu’il élit, peu importe qu’il les élise en fonction de promesses intenables ou mû par des passions savamment entretenues par l’un ou l’autre candidat, peu importe enfin que ce soit à une infime majorité qu’il élise celui-ci plutôt que celui-là. Ce qu’on lui demande, c’est de participer «massivement» au rite électoral, puis de se taire jusqu’aux prochaines élections! L’électeur n’est pas une personne réelle pourvue d’un jugement libre, c’est un individu défini par sa capacité de glisser un bulletin dans une urne.
Cette conception, qui justifie aux yeux de ces opposants le refus du référendum des communes, justifierait tout aussi bien la suppression du référendum populaire tel que nous le connaissons. Les lignes qui suivent valent autant pour l’un que pour l’autre.
Il est certain que la politique demande une bonne connaissance des questions particulières sur lesquelles l’Etat doit prendre une décision. Elle demande aussi qu’on se place à un niveau qui rende possible la vision d’ensemble nécessaire à la réalisation du bien commun. Ceux qui se proposent à notre suffrage et entre lesquels nous sommes contraints de choisir sont-ils majoritairement pourvus de ces connaissances et qualités? On peut en discuter.
On pourrait se contenter de justifier le système référendaire par le seul fait que, grâce à lui, le peuple peut contraindre les autorités à respecter ses traditions, son rythme de vie, mais aussi ses craintes, et, par là, contribuer à conserver l’unité du peuple et de l’Etat. C’est déjà beaucoup et le Canton a plus souffert du caractère hâtif de certaines réformes, scolaires, fiscales et ecclésiastiques notamment, que de la lenteur qu’il est de bon ton de lui reprocher.
Il nous semble toutefois qu’on peut aller au-delà et affirmer que beaucoup de citoyens non-candidats sont mieux formés à l’approche politique que ne le pensent leurs représentants.
Il y a en effet beaucoup d’analogies entre la façon de conduire un Etat et celle de conduire une entreprise ou une famille. On le constate évidemment sur le plan financier, mais aussi avec l’exercice de l’autorité, la prise de décision, le suivi des affaires, la communication. Un patron, un indépendant, un contremaître, un propriétaire qui gère son bien, le simple citoyen qui s’occupe d’une association culturelle, de bienfaisance… ou de sa famille acquièrent «sur le tas» un certain sens de la réalité, le même, mutatis mutandis, que celui qui inspire les bonnes décisions politiques.
Ce réalisme ne se présente pas sous la forme de réflexions politiques systématiques. C’est plutôt un fond personnel de références accumulé un peu en vrac grâce aux mille expériences mille fois répétées de la vie ordinaire. Cette accumulation engendre peu à peu la capacité d’apprécier globalement une situation, de porter un jugement intuitif sur les choses.
Cette «sagesse populaire» est réelle. Elle a sans doute une portée limitée, notamment parce que ceux qui l’exercent ont, par définition, une certaine peine à étayer leurs conclusions par des démonstrations. Mais à tout prendre, elle est largement plus efficace que la pseudo-réflexion de tant de personnages publics qui croient être allés au fond des choses parce qu’il ont réussi à formuler un problème politique dans la langue de bois de leur parti.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Le franglais tel qu'on l'écrit – Alexandre Bonnard
- «Bonne Nouvelle»: on nous écrit – On nous écrit, Jacques Neirynck / Pierre-François Vulliemin
- Mise au point au sujet de l'âme – Denis Ramelet
- Démocrates entre eux – Jacques Perrin
- Votations du 17 juin 2007 – Pierre-Gabriel Bieri
- Discrimination – Cédric Cossy
- La France, son président, ses journalistes, ses bulldozers – Le Coin du Ronchon