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Un piège pour les cantons

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1816 3 août 2007
On nous annonce que d’ici une année, «les cantons» auront une «ambassade» à Berne. En avons-nous besoin? Il est vrai que la Berne fédérale s’est beaucoup éloignée des cantons dont elle est censée être l’émanation. Elle joue en général son propre jeu, comme un Etat unitaire. Il est vrai aussi que le Conseil des Etats ne joue pas le rôle de «chambre des cantons» qu’on lui attribue quelquefois. Les cantons souffrent donc effectivement d’un déficit institutionnel. Est-on sûr pour autant que la voie choisie est la bonne?

A l’origine de cette idée d’ambassade cantonale se trouve la création, en 1992, de la Conférence des gouvernements cantonaux, dans l’optique de l’EEE et d’une participation des cantons à la politique européenne de la Suisse. La Conférence a fait preuve de sa force en 2003, en faisant aboutir le référendum des cantons contre le «paquet fiscal». Sa réussite devant le peuple engendra l’idée d’une représentation permanente des cantons à Berne, sous la forme d’une «Maison des cantons». On vient d’apprendre que cette «Maison» sera opérationnelle dès 2008. Comprenez bien qu’il s’agit d’une maison au sens propre, en dur, en plein Berne, dont la transformation nous coûtera six millions et demi! Son coût de fonctionnement annuel sera de cinq cent mille francs.

Trois menaces, cumulables, planent sur la Maison des cantons. La première est que, vivant en quasi-symbiose avec l’administration fédérale, la nouvelle institution ne se transforme, selon un mécanisme bien connu, en une représentation de l’administration fédérale auprès des cantons, chargée de faire accepter par leurs gouvernements les morceaux les plus durs à avaler.

La deuxième menace est qu’elle ne devienne une sorte de syndicat des cantons, consacrant son énergie à quémander des subventions et des rabais d’impôts, bref, qu’elle se comporte comme si elle ne représentait pas des Etats cantonaux souverains, mais de simples régions sans pouvoir propre, soumises à la Confédération comme les départements français sont soumis à Paris. Sur ce point, le terme de «lobbying des cantons» plusieurs fois utilisé par ses animateurs autorise les pires craintes.

La troisième menace est que, pour être efficace aux yeux de la presse, la Maison des cantons à Berne ne force les choses et présente les cantons sous un jour unifié qui ne corresponde pas à la réalité. Dans L’Hebdo du 7 juin dernier, M. Michel Guillaume décrit bien le sentiment d’un journaliste: «Pour que les cantons deviennent plus visibles, encore faut-il qu’ils sachent développer une seule et même vision.» Autant dire que les cantons minoritaires devront se plier. Actuellement, la Conférence des cantons ne défend une position que si au moins dix-huit d’entre eux sont d’accord. Cela en fait tout de même huit – dont peut-être le canton Vaud – qu’on peut passer pardessous la jambe! C’est déjà inacceptable, et trop proche du système fédéral officiel. Seule l’unanimité des cantons devrait autoriser la Conférence à agir. Et de toute façon, le système de majorité qualifiée est contraire à la pensée égalitaire dominante. Il est condamné à être remplacé par un système de majorité simple.

L’ancien conseiller d’Etat fribourgeois Urs Schwaller, cité par M. Guillaume, souligne les désavantages du système: «Si les 26 cantons ne comptent plus que pour un dans les procédures de consultation, alors le fédéralisme pourrait bien s’affaiblir, comme la pluralité de leurs opinions.» C’est le moins qu’on puisse dire.

Il faut rappeler inlassablement, et souligner, et doubler le soulignement, que les cantons sont loin d’avoir tous les mêmes intérêts et les même points de vue. Même en matière de fédéralisme, les positions cantonales ne sont pas forcément toutes identiques. L’unité des cantons concernant le paquet fiscal est un cas exceptionnel. On ne peut pas organiser une représentation permanente en fonction de cas exceptionnels.

Autre inconvénient, le système pourvoit le responsable de la Maison des cantons d’une sorte de compétence implicite de représentation des cantons. En 2003, le conseiller d’Etat tessinois Luigi Pedrazzini affirmait que les ambitions de la Conférence des cantons étaient strictement institutionnelles et que le référendum visait exclusivement à conserver leur autonomie fiscale aux cantons. C’était très bien. Il n’en reste pas moin que les positions officielles «des cantons» dépendent dans une mesure importante des idées personnelles du responsable de la Maison des cantons.

Ainsi le conseiller d’Etat neuchâtelois Bernard Soguel, l’actuel «chef du comité de pilotage de la Maison des cantons» prétend aujourd’hui «dynamiser le fédéralisme», sous le motif que, commente M. Guillaume, «l’heure n’est plus à une souveraineté étriquée des cantons». Il affirme le plus sérieusement du monde: «J’avais préparé plusieurs amendements proposant que la Suisse quitte la voie bilatérale aussi rapidement que possible pour se diriger vers l’adhésion à l’Union européenne. Mais comme nous n’avions plus le temps d’en discuter sérieusement, je les ai retirés.»

C’est génial. Ce Monsieur a des idées (insanes, mais c’est une autre question) et il annonce ouvertement qu’il va s’efforcer de les infestibuler au Comité, de façon à ce qu’elles deviennent la position officielle des cantons. On sait à quel point les assemblées votant sans responsabilités directes sont perméables aux idées à la mode. Pour peu que M. Soguel insiste, la presse pourra publier de grands titres: «Les cantons pour le retrait des voies bilatérales». Nous sommes dans l’ordre de la manipulation, et complètement sortis de la représentation des intérêts de l’ensemble des cantons qui justifiait la Conférence des gouvernements cantonaux.

Le déficit institutionnel dont souffrent les cantons ne sera pas compensé par la création d’un lobby idéologique incertain doublant la Confédération dans ses tâches propres. Le mal est profond. Il résulte des mécanismes mêmes de l’Etat fédératif, qui font qu’on évolue structurellement – comme le montre la constance de cette évolution – vers un accroissement des compétences particulières de la Confédération au détriment de la compétence générale des cantons.

A ce jour, seules nos propositions sur le fédéralisme différencié sont susceptibles de réduire les nuisances de cette évolution, en permettant à un canton qui le désirerait de recouvrer une compétence fédérale pour son compte et de la gérer souverainement.

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