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L’étranger, la communauté, la méfiance

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1820 28 septembre 2007
Plus de la moitié des délits commis sur notre sol le sont par des étrangers. Cette réalité, confirmée par les chiffres de la criminalité que la police vaudoise a publiés la semaine passée, suscite en nous une méfiance automatique non seulement à l’égard des étrangers en général, mais à l’égard de chacun d’entre eux, dans la mesure bien entendu où son apparence nous le désigne comme tel – ou semble le désigner.

Ressentir cette espèce de soupçon mal défini n’est pas très plaisant. Le passage de la probabilité statistique au cas individuel est une généralisation abusive: nous savons que la majorité de ces étrangers «visibles» – ou apparents –, tous permis confondus, ne méritent en rien d’être soupçonnés. Ce fait n’est contesté par personne.

Sur le plan moral, il est désagréable de voir grouiller en soi-même des sentiments pas très nets, à commencer par la satisfaction, épaisse et immorale, de pouvoir désigner le mal hors de soi, et, hors du groupe, le pelé, le galeux d’où nous vient tout notre mal.

Surtout, certains de ces «étrangers» ne sont pas ou plus des étrangers; ils ont «pris racine», ils ont assimilé l’identité du pays; ils ont fait leurs jusqu’à nos défauts; ils assument entièrement les devoirs civils et militaires du citoyen ordinaire. Certains sont nés ici et y ont fait toutes leurs classes. Ils sont des nôtres au point qu’il est même inconvenant de le mentionner. A leur égard, cette méfiance automatique n’est pas seulement injuste, elle est quelque chose comme une trahison.

Pour les représentants de la force publique, dans cette zone grise qui sépare l’ordre du désordre, la méfiance est un instrument ordinaire de leur travail. On comprend que les statistiques criminelles et leurs propres expériences les guident dans le choix des individus qu’ils contrôlent. Mais on est sur le fil du rasoir. Le policier doit être conscient de l’humiliation décourageante que peut représenter un traitement un peu trop vétilleux ou agressif à l’égard de ces étrangers qui n’en sont pas. Le doute qui profite à l’accusé doit a fortiori profiter au soupçonné.

Cette méfiance, nous l’éprouvons presque malgré nous. C’est qu’elle nous touche moins en tant qu’individus conscients et volontaires que comme membres d’une communauté politique qui se sent menacée dans sa manière de vivre, dans sa culture, dans ses moeurs. Celle-ci réagit à la menace, imaginée ou réelle, en suscitant des sentiments de crainte et de rejet chez les individus qui la composent. L’individu est ici le porteur d’une réaction collective. Cette réaction constitue, à proprement parler, la xénophobie.

La xénophobie une réaction de défense à la fois vitale et aveugle; en l’abordant, il ne faut omettre ni l’un ni l’autre de ces deux adjectifs.

Avant de se poser sur le plan individuel, la question de la xénophobie se pose donc sur le plan de notre politique d’immigration. Nous l’avons souvent écrit dans ces colonnes, la nôtre est un mélange assez mesquin de déclarations politiquement correctes, de dureté bureaucratique et de blocage craintif à l’égard des dossiers médiatisés. Et quand, comme aujourd’hui, nos autorités se contentent de jouer les belles âmes et de blâmer les discours et les actes xénophobes, elles s’obstinent à passer à côté du problème.

Du politicien, la xénophobie appelle moins un jugement moral – le fait d’être politicien ne donne aucune autorité dans ce domaine, c’est le moins qu’on puisse dire – qu’un jugement politique. Il doit considérer la xénophobie pour ce qu’elle est, c’està- dire le symptôme d’un dysfonctionnement social. Que certains amplifient ce dysfonctionnement à des fins électorales n’empêche pas qu’il soit réel et doive être traité. La xénophobie est une fièvre. La fonction du politicien est de faire baisser cette fièvre en en supprimant la cause réelle et pas de cacher ou de jeter le thermomètre.

C’est en régulant, autant que faire se peut, le rythme de l’immigration en fonction de nos capacités réelles – c’est-à-dire non seulement financières mais surtout psychologiques et morales – d’accueil et d’assimilation ainsi qu’en améliorant la cohérence et la rapidité de la répression générale de la délinquance – étrangère ou non – que l’autorité politique calmera le jeu et dissipera les méfiances individuelles à l’égard de l’étranger.

En attendant que le jeu soit calmé, le simple citoyen ne saurait invoquer la carence avérée de la classe politique pour s’autoriser un comportement indigne à l’égard d’un étranger en tant que tel. Il ne peut dire: «C’est l’Etat qui me rend xénophobe, c’est de sa faute si j’agis comme tel.» Il reste maître et responsable, sinon toujours de ses sentiments, du moins de ses paroles et de ses actes.

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  • Brouillages – Jacques Perrin
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