Le balancier électoral et le fédéralisme
Certains ont voulu mondialiser le front anti-Blocher, évoquant l’«image» internationale catastrophique qu’une victoire de l’UDC donnerait de la Suisse. La presse suisse a repris des articles de journaux français, allemands, anglais et même japonais, lesquels n’avaient fait que reprendre des articles de la presse suisse, selon le système bien connu des échos médiatiques en circuit fermé. Cette idée était incroyablement nulle. Sur le plan politique, ses auteurs nuisaient bêtement à la Confédération. «Bêtement»: je veux dire sans la moindre contrepartie. Sur le plan électoral, l’hostilité populaire aux pressions morales extérieures, mobile important du succès de l’UDC, s’en voyait renforcée. On peut même se demander si cette opération ne nous a pas valu à l’étranger une discrète estime populaire, comme en son temps le refus de l’EEE.
Quand un parti a le vent en poupe, tout tourne à son avantage. S’il fait juste, sa victoire est sans partage. S’il fait faux, ses adversaires s’arrangent pour faire encore plus faux. C’est qu’ils sont piégés. Quand ils lui répondent, ils se placent sur son terrain et renforcent ses effets; quand ils se taisent, ils approuvent tacitement. Ils savent tout cela, mais ça n’y change rien: lors de l’émission Infrarouge sur les minarets, les adversaires de Freysinger savaient qu’ils s’enferraient eux-mêmes en l’abreuvant d’insultes, mais ils ne pouvaient s’en empêcher.
«Le vent en poupe», cela signifie qu’au-delà du programme et de la campagne de l’UDC, au-delà de l’insuffisance des autres partis, c’est le terrain tout entier de l’affrontement qui penche «à droite». La population, même de gauche, est lasse de la social-démocratie étatiste, bureaucratique, internationaliste qui mène le jeu depuis trop d’années, socialistes en tête, traînant derrière eux radicaux et démo-chrétiens. Elle a perdu tout crédit dans son rôle de représentant des petits, cette gauche bourgeoise et nantie, directeurs de régies fédérales plus grassement rémunérés que les autorités politiques, secrétaires d’Etat tout-puissants, chefs de service inamovibles, syndicalistes hyperpolitisés, tyranneaux pédagogistes, artistes stipendiés et autres journalistes donneurs de leçons. Quant à l’aile marxiste du parti socialiste, celle des purs et durs qui croient encore à la lutte des classes, elle ne peut que souffrir de la fabuleuse faillite politique, écologique, économique et sociale des régimes communistes. Des thèmes que la gauche a méprisés, la sécurité intérieure, la défense armée, les politiques d’asile et d’immigration, reviennent en force, rappelant qu’ils sont des éléments essentiels et permanents de la politique d’un Etat.
Le souvenir cuisant de l’insuffisance des autorités suisses dans l’affaire des «fonds en déshérence», enfin, n’est probablement pas pour rien dans ce basculement de l’horizon.
Nous vivons ce qu’on appelle «un retour de balancier». Ce phénomène manifeste que dans les affaires humaines, rien ne va jamais de plus en plus, et que tout excès appelle tôt ou tard un correctif. Le correctif aujourd’hui s’appelle Union démocratique du centre. Mais si le correctif perd de vue la finalité de l’action politique, s’il se contente d’utiliser ou d’exacerber les passions pour accéder au pouvoir, il perd sa vertu correctrice et débouche sur l’excès inverse, qui suscitera à terme un nouveau retour du balancier à l’endroit d’où il était parti.
Pour le moment, le retour du balancier est surtout psychologique. Rien encore n’a été refait de ce qui a été défait. Pour perdre les mauvaises habitudes, pour reconstruire ou remplacer ce que la génération du soussigné a démoli dans l’école, dans le droit, dans l’armée, dans l’Eglise, dans le sentiment que les Suisses ont d’eux-mêmes, il ne suffit pas de modifier la répartition de quelques sièges.
Nous ne sous-estimons certes pas les effets bénéfiques probables des dernières élections sur les dossiers qui touchent à la souveraineté suisse (neutralité armée, défense du territoire, primauté de l’intérêt fédéral sur le droit international). Nous espérons aussi que l’agriculture redeviendra un thème central des vainqueurs. Deux éléments le font espérer. L’UDC se doit de défendre l’agriculture suisse au moins en tant qu’elle est indispensable à la préservation de notre indépendance politique: en ce sens, on peut sans se contredire être libre-échangiste en matière industrielle et relativement protectionniste – ce qui ne signifie pas dirigiste – en matière agricole. Quant aux Verts, les autres vainqueurs, si leur électorat est majoritairement citadin et peu sensible aux problèmes de la paysannerie, ils sont devenus très attentifs aux coûts annexes, en termes de pollution, des produits très bon marché qui nous viennent de l’autre bout du monde. Même plus chère à l’achat, un écart qui tend d’ailleurs à s’amenuiser, la consommation locale est plus écologique.
Nous sommes moins optimistes en ce qui concerne la souveraineté des cantons. Nous ne désespérons certes pas de convaincre les écologistes que chaque canton, avec ses moeurs et ses frontières politiques, constitue le biotope, le milieu naturel équilibrant et protecteur de ceux qui y vivent. Mais cette conviction n’est pas encore acquise, tant s’en faut. Quant à l’UDC, La Nation a déjà souligné le centralisme inhérent à la tendance plébiscitaire qui a marqué ces élections, faisant de la campagne parlementaire une étape des grandes manoeuvres pour les élections au Conseil fédéral. Ce n’est pas tout: l’unification du commandement pour faciliter et accélérer les manoeuvres, la simplification du message pour renforcer l’effet de résonance, le quadrillage des troupes pour empêcher les dérives et les factions, toutes ces nécessités électorales appellent une centralisation du parti. Et ceci est vrai pour tous les partis. Un parti centralisé est mal à l’aise pour conduire une politique fédéraliste.
Les élections ne cessent jamais. La prochaine est toujours en point de mire. La logique partisane du «toujours plus» impose de ne jamais ralentir l’effort électoral. M. Yvan Perrin déclare à la presse que «si l’UDC romande veut progresser, il faut un conseiller fédéral romand» (1) et donne deux ou trois noms dont aucun ne déchaîne l’enthousiasme. N’inversons pas les priorités! Ce qui nous intéresse dans le choix des conseillers fédéraux, c’est l’intérêt des cantons et de la Confédération, non, en soi, celui de l’UDC ou d’un autre parti.
L’UDC se veut le parti suisse par excellence. Qu’il se rappelle donc que la Confédération est d’abord une alliance complexe et compartimentée d’Etats souverains, non une masse idéologique multilingue! On nie la réalité confédérale, on ébranle ses fondements en ne respectant pas les souverainetés cantonales. Ce serait un comble d’affaiblir la Suisse pour renforcer le parti de la Suisse forte!
NOTES:
1) Tribune de Genève du 25 octobre dernier.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Démocrates dans la tempête – Jacques Perrin
- Le scoutisme entre tradition et modernité – Jeremy-David Benjamin
- Yolande Chessex – Olivier Delacrétaz
- Réponse à un néoretraité de l’enseignement – Jean-Blaise Rochat
- Félicitations à Bertil Galland – Yves Gerhard
- Droit international et politique interne – Fé. Mo.
- Petits hommes verts, femmes rouges, lumières noires – Le Coin du Ronchon