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Un grand journal romand de droite

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1833 28 mars 2008
En décembre dernier, dans la foulée immédiate de l’éviction de M. Blocher, les responsables de l’UDC évoquèrent divers projets propres à développer une politique d’opposition efficace. On mentionna notamment la possibilité de lancer «un grand journal romand de droite».

Le grand journal de droite est un vieux serpent de mer qui émerge et se tortille parfois à l’occasion d’une soirée arrosée, puis se rendort pour dix ou quinze ans. On se fait plaisir durant quelques heures, voilà tout. Créer et faire durer un petit périodique, c’est déjà toute une affaire. Alors, lancer un quotidien grand public, ou même un hebdomadaire…

Avec l’UDC, la question prend une allure plus réaliste. Ce parti a de gros moyens en argent et en militants. Il est conquérant et trouve un écho favorable dans la population. Si un grand journal romand de droite est possible, c’est certainement lui qui peut le réaliser.

Ne s’agissait-il que de propos sans lendemain? Nous le regretterions. L’existence d’un tel organe est en soi souhaitable, histoire de rétablir un certain équilibre idéologique face au monde des médias romands écrits, parlés ou télévisés. Ce monde penche quasi unanimement à gauche. Il n’a pas de contradicteurs, hormis quelques périodiques d’opinion. Cette situation plus que dominante lui permet d’émettre ses idées sur le ton de l’évidence et avec une apparence d’objectivité. On en déduit inconsciemment que la presse romande exprime une pensée du juste milieu! Et le soutien qu’elle apporte automatiquement à tout projet centralisateur, étatiste ou internationaliste a fini par apparaître aux yeux de beaucoup de citoyens comme l’expression du bon sens populaire et du réalisme politique.

L’existence d’une publication populaire «de droite» casserait à elle seule ce monopole idéologique. Elle engendrerait des affrontements doctrinaux qui mettraient en lumière les présupposés socialisants et technocratiques des médias romands. Elle réduirait leur influence dans la formation des esprits.

Evidemment, le nouvel organe ne pourrait se contenter de dénoncer la presse de gauche à longueur de colonnes. «Etre contre» n’est pas un moteur suffisant. Il faudrait que le grand journal romand de droite ait un contenu qui en vaille la peine.

Pour commencer, ce ne devrait pas être un journal de parti, mais un média ordinaire. La distinction est vitale et pose une question qui n’est pas facile à résoudre: la rédaction pourrait-elle être réellement autonome ou devrait-elle rendre des comptes autres que financiers à ses bailleurs de fonds? Pourrait-elle par exemple prendre des décisions différentes de celles du Comité central de l’UDC? Là serait la pierre de touche de son autonomie et du même coup la mesure de sa crédibilité.

Mais d’abord, de quelle droite parle-ton? La droite libérale ou la droite conservatrice? Individualiste ou communautaire? Dans l’UDC même, ces deux tendances coexistent et empêchent parfois le parti de prendre des décisions claires, en matière agricole par exemple. Lors des débats sur les bilatérales, M. Blocher déclarait sans détours, je cite de mémoire: «Comme entrepreneur, je suis pour la libre circulation des personnes et des marchandises, comme patriote, je suis contre.» Qui sait si le nouveau journal ne serait pas l’occasion de résoudre l’apparente opposition entre défense nationale et liberté économique?

Il est très vraisemblable qu’un journal lancé par l’UDC serait opposé à l’adhésion de la Suisse à l’Europe et se battrait pour redonner à notre diplomatie et à notre armée leur unique finalité: défendre le territoire, l’indépendance et les intérêts de la Confédération. Bien. Mais qu’en serait-il du fédéralisme, c’està- dire de la vie sociale et politique concrète des cantons? Tous les partis, et l’UDC ne fait pas exception, qui se veulent efficaces se dirigent presque fatalement vers un renforcement du centre et une mise de côté des différences cantonales. Un nouveau journal n’en vaudrait pas la peine s’il venait à suivre la logique numérique des partis et à ne considérer les cantons que comme des freins à la réalisation de ses grands idéaux «de droite».

«Romand»: à gauche ou à droite, l’adjectif n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Dans une interview donnée à L’Hebdo du 20 mars dernier, M. Jean- Jacques Roth, rédacteur en chef du quotidien romand Le Temps, déclare que son lectorat est en grande majorité lémanique: «Un gros tiers est à Genève, un plus petit tiers dans le canton de Vaud et un encore plus petit tiers dans le reste de la Suisse romande.» Et il ajoute que Genève «est la capitale de la région, qu’on le veuille ou non». M. Roth veut dire que Genève contient le plus fort taux de gens qui ont les mêmes intérêts que lui, ce qui n’est pas exactement la même chose. Mais ce qui reste vrai, c’est que la Romandie n’a pas d’unité politique, sociale ou culturelle. La seule question spécifiquement romande nous semble être la défense de la langue française, notamment face à l’administration fédérale. Un journal romand attaché à la tradition pourrait en faire un thème de combat intéressant.

Le grand journal romand de droite serait donc privé de ce qui assure la fidélité du lecteur ordinaire: les actualités locales et cantonales. Aucune chance que les nouvelles neuchâteloises retiennent si peu que ce soit l’attention du lecteur valaisan. La page des morts vaudois n’offrira pas le moindre intérêt pour l’abonné jurassien. C’est dire que, sur les questions concrètes, le nouveau journal serait condamné à aborder prioritairement les questions fédérales et internationales. Ce n’est pas un petit chantier.

A notre sentiment personnel, il manque un journal satirique dans nos cantons. Comme on se le rappelle, l’expérience de Saturne tentée par Mme Dayer durant deux années et demie a échoué en juin 2006. Ce ratage s’explique par sa forme trop hétéroclite et son fond trop convenu, deux motifs essentiels de ne pas fonder un journal.

Il n’empêche que les dérives du régime, le poids écrasant des administrations, l’importance croissante des pouvoirs politiques occultes, les ravages du politiquement correct et de la langue de bois, sans parler de la vie externe et surtout interne des partis, leur idéalisme vénal et leur mépris du peuple, appellent la satire, le pamphlet et la caricature. On peut se demander si un grand journal de droite romand ne trouverait pas là une place à prendre. Cela n’empêcherait pas les articles de fond, même s’il est vrai que l’«Album de la Comtesse», le «Mur du çon» et les dessins de Cabu font plus pour vendre le Canard enchaîné que les éditos de M. Eric Emptaz!

Beaucoup d’autres problèmes se poseraient sans doute au «grand journal romand de droite», si l’UDC décidait de donner suite. Mais il n’y en a qu’un qui soit absolument déterminant: qui serait le vrai responsable, le rédacteur en chef, le patron? Cette question est préalable à toutes les autres. On peut avoir tout l’argent qu’on veut, des collaborateurs talentueux, un gros potentiel de lecteurs, cela ne sert à rien si le patron n’est pas à la hauteur. Un patron qui sache écrire vite et bien, qui maîtrise les comptes et surtout qui soit apte à mobiliser les énergies, à unir tous les collaborateurs, à leur donner l’esprit de la maison. Un patron qui incarne durablement le nouveau journal, qui en fasse son affaire, qui y lie son destin. Si cette personne n’existe pas, on s’épargnera beaucoup de déconvenue en laissant tomber tout de suite. Si on l’a, tout est possible.

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