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Islam et islamisme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1834 11 avril 2008
On reproche aux auteurs de l’initiative contre les minarets de confondre l’islam et l’islamisme. On leur enjoint de distinguer la religion musulmane et l’idéologie politico-sociale qui s’en inspire. Ça semble logique: nous distinguons bien le christianisme et la chrétienté, le temporel et le spirituel.

Dire qu’on distingue le temporel du spirituel, cela signifie qu’on reconnaît au monde d’ici-bas une réalité propre, que les êtres créés fonctionnent selon des lois qui leur sont spécifiques et que l’être humain jouit d’une liberté réelle dans le jugement et dans l’action. C’est dans la perspective de cette distinction que le Christ dit aux pharisiens et aux hérodiens: «Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu» (Matt. 22: 21). Distinguer, c’est aussi affirmer que l’homme, créé à l’image de Dieu (Gen. 1: 27), est analogue à son Créateur. Analogue, c’est-à-dire ni totalement identique, ni absolument autre. Sans analogie, il n’y a pas de distinction possible.

Distinguer n’est pas séparer: l’autonomie ne rend pas les créatures indépendantes du Créateur, pas plus que le petit d’homme, qui croît de façon autonome dans le ventre de sa mère, n’est indépendant de celle-ci. La puissance divine n’est en rien diminuée par la liberté humaine. Dieu l’a voulue et l’incorpore à son plan.

Autonomie sans rupture, unité sans mélange: c’est facile à dire, moins facile à définir (on ne le fait que négativement, en désignant cette distinction comme une voie moyenne un peu mystérieuse entre les deux erreurs inverses que sont la séparation et la confusion)… et encore plus difficile à vivre. D’expérience, on penche toujours peu ou prou, soit du côté de la séparation, soit du côté de la confusion.

La distinction relève du temporel en ce qu’elle jette une lumière utile sur le caractère à la fois passager et précieux de l’univers créé. Mais elle relève aussi, comme son énoncé l’indique, du spirituel. En d’autres termes, elle dépend aussi de la manière dont la religion aménage, par ses textes sacrés, dogmes et rites, les relations entre l’absolu divin et le relatif humain.

La religion chrétienne donne une importance déterminante aux médiateurs qui assurent le lien entre Dieu et les hommes, le peuple juif, d’abord, choisi par Dieu pour être l’instrument de sa réconciliation avec l’humanité déchue, puis le Christ lui-même, qui en fut l’aboutissement, et enfin l’Eglise, qu’il a instituée et dont il est le chef.

Le Christ fut à la fois vrai homme et vrai Dieu, sans jamais confondre ses deux natures ni introduire de séparation dans sa personne. Il a assumé pleinement à la fois la distance de sa transcendance, «mon royaume n’est pas de ce monde» (Jean 18:36), et son implication permanente dans les choses terrestres, «je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde» (Mat. 28: 20): ni séparation, ni confusion.

Il ne fallait pas moins qu’un Dieu incarné, participant de l’un et de l’autre domaines, pour rendre humainement concevable et applicable la distinction entre le spirituel et le temporel. Et encore, comme nous l’avons dit, cette distinction n’est-elle appliquée que d’une manière bien imparfaite, les chrétiens boitant sans cesse entre la théocratie (confusion) et l’athéisme pratique (séparation).

L’Islam est infiniment plus simple: il n’y a pas d’aménagement et pas de médiateur. Il n’y a pas d’analogie. Allah est le tout autre. Mahomet est son prophète, mais il est un homme comme les autres. Il n’est pas un médiateur, mais un copiste fidèle et scrupuleux. Quant au Coran, il est la parole même d’Allah, incréée et dictée littéralement, présence impérieuse du divin plutôt que médiation.

En même temps, le Coran est la Constitution suprême qui règle la vie spirituelle et temporelle du musulman. Ce texte dont chaque virgule est sacrée comprend à la fois des enseignements théologiques et des règles morales, sociales et politiques. Et ces règles ont elles aussi une portée absolue. Le spirituel et le temporel forment ainsi un tout rigoureusement unitaire, qui fait de l’islam la religion la plus proche des idéologies modernes.

Prétendre distinguer le temporel et le spirituel, reconnaître une autonomie aux êtres créés, c’est contester la puissance absolue d’Allah sur toute chose et sur chaque destin. Et c’est là que le bât blesse le plus douloureusement, car cette conception est contredite par l’évidence quotidienne de l’autonomie de la création et de la liberté de tout homme, fût-il le plus pieux des musulmans.

Cette contradiction centrale engendre des structures politico-religieuses instables. Le croyant oscille, au gré des lieux, des époques et de son tempérament, entre la juxtaposition morne des deux mondes et leur mélange explosif, entre le légalisme routinier et l’engagement conquérant, entre le fatalisme et le jihad, la guerre sainte.

Eriger un minaret, c’est tout ensemble un acte religieux et un acte politique. «Tout est politique, y compris la religion» disaient les pasteurs gauchistes et les prêtres ouvriers des années septante. «Tout est religieux, y compris la politique» répond le musulman. C’est sous cet angle qu’il faudra aborder la question de l’initiative.

Quant à demander aux musulmans la réciprocité en ce qui concerne l’érection de monuments religieux, cela n’a guère de sens. Ce peut être de bonne polémique à l’égard de ceux qui vivent chez nous et invoquent les principes libéraux pour construire des minarets en Suisse. Mais les musulmans peuvent légitimement pasticher Louis Veuillot: «Nous demandons aux chrétiens, au nom de leur distinction entre le temporel et le spirituel, une tolérance religieuse que nous leur refusons au nom de notre rejet de cette même distinction.»

Distinguer l’islam et l’islamisme est une erreur à la fois philosophique et théologique, blasphématoire pour les musulmans, imprudente pour les chrétiens.

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