La cécité désarmante du GSsA
En automne prochain, nous voterons sur une initiative demandant la suppression du service militaire obligatoire. Une acceptation serait un pas décisif en direction de l'abolition de l'armée suisse, but avoué du «Groupe pour une Suisse sans armée» (GSsA) qui patronne ladite initiative.
Le 26 novembre 1989, la première initiative du GSsA recevait le soutien de 35,6% du peuple et de deux cantons. Ce résultat imprévu apparut comme une victoire du pacifisme et le symbole d'une évolution irréversible de la Suisse. Mais la seconde initiative du même GSsA, votée douze ans plus tard, ne recueillait que 21,9% des voix.
La progression spectaculaire du GSsA avait correspondu à une situation internationale exceptionnelle. Au moment du vote, le Mur venait de tomber et, avec lui, le bloc communiste, soit «l'ennemi» par excellence dans toutes les représentations que les militaires suisses se faisaient d'un éventuel conflit. Une paix positive semblait devoir remplacer l'«équilibre de la terreur» qui avait structuré le monde depuis 1945.
Cette douce perspective se renforçait du fait qu'en surface, tout semblait aller dans le sens de la paix. L'ONU s'étendait à presque tous les pays, les deux Allemagnes se réunissaient, l'Union européenne prenait corps, les Etats du monde harmonisaient leurs règles économiques. C'est dans cette situation portant à l'optimisme facile qu'un tiers des électeurs suisses jugèrent opportun de faire un geste… d'autant plus aisé que plus d'un ne doutait pas du rejet de l'initiative.
Mais au fond, ni les guerres, ni les tensions internationales, ni les actes de terrorisme n'avaient diminué. Il est remarquable que le GSSA lui-même attribue son échec de 2001 aux craintes que les attentats du 11 septembre et la guerre en l'Afghanistan avaient suscitées dans la population. Mais, fidèle à son utopisme foncier, il refuse de voir que ces craintes étaient fondées et justifiaient le rejet populaire.
L'unité du monde n'est plus une perspective politique à moyen terme, c'est le moins qu'on puisse dire. Des puissances majeures proclament leur volonté de conduire une politique conforme à leurs intérêts nationaux: la Russie, la Chine, l'Inde, le Brésil, la Corée du Nord, sans parler de l'Iran et de la nébuleuse islamique. Leur politique est volontariste. Leur langage est celui de la force.
A vues humaines, aucun de ces Etats ne va, comme ça, décider d'envahir la Suisse. On le sait bien. Mais ce n'est pas d'abord ainsi que la question se pose aujourd'hui. Ce qui est plutôt à craindre, c'est l'une de ces guerres sans cause logique, engendrées par le seul désordre international; une de ces guerres avalanches où un fait contingent déclenche un conflit majeur; une de ces guerres que personne n'a voulues et auxquelles tout le monde finit par participer.
Tant de conflits, de menaces et d'incertitudes nous font une obligation de ne pas baisser la garde.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 26 mars 2013)