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Actualités  |  Mardi 16 janvier 2024

Pour une géopolitique du Coca-Cola, ou du vin?

L’Haïtien Dany Laferrière, de l’Académie française, soutient dans l’un de ses ouvrages que, aux yeux des Américains, «l’Europe, avec ses variétés infinies et ses gradations multiples de vin, paraît décadente et inégalitaire». Leur sens démocratique imposerait des formules uniques et simples. Le Coca-Cola, accessible à tous et aimé de tous, serait la boisson démocratique et nationale américaine par excellence. C’est par l’indifférenciation qu’on y atteindrait l’universel. C’est évidemment un peu schématique. Mais Laferrière, au-delà des goûts des Démocrates de la côte est, assoiffés de Chardonnay, n’a peut-être pas si tort.

Les nuances de nos chasselas, la douceur florale d’un blanc de Loire, la précision sèche d’un vin du Rhin dévoilent une mosaïque de terroirs. Ils correspondent souvent à un puzzle de communautés, de nations et de traditions politiques. En Europe, l’universel s’atteindrait plutôt en approfondissant nos particularismes communautaires propres. Cet universel, auquel chacun aspire légitimement, ne se noierait pas dans les chimères de l’égalité sans frontières. Bien entendu, la technocratique Union européenne, avec son marché unique et sa libre circulation des personnes, joue contre cette vision des choses.

À l’approche de la possible victoire de Donald Trump, beaucoup s’interrogent sur les liens entre le Nouveau et l’Ancien-Monde. Le titre du magazine «Le Point» de la semaine dernière demandait: «L’Europe bientôt seule face à Poutine?» Nuançons en rappelant avec son éditorialiste que Trump n’est pas beaucoup plus isolationniste qu’Obama au début de son mandat. Qui se souvient du «pivot vers le Pacifique» de l’année 2011? Il avait vu les troupes américaines quitter l’Europe. Elles revinrent en 2014, contraintes par les événements ukrainiens et surtout par la mollesse stratégique et budgétaire des politiques de défense européennes.

Dans son nouveau livre, Emmanuel Todd affirme que l’Occident est en fait sur le déclin depuis trente ans. L’effondrement de l’URSS et l’effacement temporaire de la Chine l’avaient simplement rendu moins visible. Cette décadence aurait une dynamique propre: haine de soi que prolonge le nihilisme woke, dénatalité, disparition du sentiment religieux, protestant surtout, avec les valeurs de travail et de responsabilité qui l’accompagnaient. Poutine et Xi Jinping ne seraient pour rien dans nos déboires.

La Suisse n’échappera pas à la reformulation des rapports de force géopolitiques auxquels nous assistons. Dimanche à Davos, M. Cassis a rappelé qu’aucune solution de paix pour l’Ukraine ne pourrait se passer de la voix de la Russie. Cette ouverture au dialogue est à saluer. La neutralité offre à la Suisse de jouer une participation particulière en portant sa propre pierre à la stabilité mondiale. Faisant cela, elle défend une conception de l’universel qui préfère le vin au Coca-Cola.

(Félicien Monnier, 24 heures, 16 janvier 2024)