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Une double cohérence

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1837 23 mai 2008
Un de nos lecteurs déplore que La Nation rejette l’initiative sur les naturalisations pour un motif fédéraliste qu’il juge mineur en regard de l’importance de l’objet. Nous reprochons en effet à l’initiative d’attribuer la compétence en matière de naturalisation aux communes alors que, dans notre canton, c’est l’Etat qui prend la décision de naturaliser. C’est faire preuve d’un formalisme juridique dérisoire, estime notre contradicteur, face à la dérive politique qui réduit la naturalisation à un acte purement administratif.

Ce débat n’est pas nouveau. Il nous est déjà arrivé, à notre grand déplaisir, de nous opposer par fédéralisme à des lois ou des articles constitutionnels dont nous approuvions les principes de base. Je pense à «Jeunesse sans drogue», par exemple, ou aux multiples initiatives fédérales tendant à renforcer la répression de l’avortement.

La position fédéraliste est mal comprise dans une époque où l’unification est considérée comme un bien en soi. Ceux qui l’invoquent sont toujours suspectés soit d’abandonner lâchement un juste combat soit de dissimuler d’autres intérêts, généralement inavouables.

Cela fait qu’un fédéraliste ne peut espérer être crédible que s’il est fédéraliste en toute occasion. Prenons le conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard, qui a combattu la nouvelle loi sur la santé au nom des cantons, ou le conseiller national Roger Nordmann, qui a accusé l’initiative sur les naturalisations d’être «anti-vaudoise». Nous les approuvons pleinement. Mais il faut bien reconnaître que, dans leur bouche, l’argument fédéraliste n’a aucun poids. Je ne dis pas qu’ils ne croient pas ce qu’ils disent. Je dis simplement que ces politiciens ont soutenu trop d’autres projets fédéraux «anti-vaudois» pour ne pas avoir l’air de fédéralistes en toc (d’autres protestations fédéralistes de leur part lors de votations ultérieures nous contraindraient évidemment à revenir sur ce jugement).

Nous n’acceptons jamais une loi ou un article constitutionnel centralisateur, même si la centralisation porte sur un point de détail. Cette cohérence dans la durée donne au discours fédéraliste de La Nation une crédibilité que même nos adversaires reconnaissent.

Mais la cohérence interne d’un discours politique n’est que la moitié du chemin. Le discours marxiste aussi est parfaitement cohérent. Le discours doit également présenter une cohérence externe, c’est-à-dire refléter fidèlement la réalité. Il faut donc dire pourquoi nous jugeons indispensable de défendre la moindre parcelle de souveraineté vaudoise.

La communauté politique forme un tout. Polis et ajustés par l’usage et l’expérience, les éléments de culture et de moeurs qui la constituent interagissent les uns sur les autres. C’est particulièrement le cas des institutions politiques et juridiques, où chaque élément ne prend son sens plein qu’en liaison avec tous les autres et avec l’ensemble. Et de même, chaque altération d’un élément retentit sur tous les autres et sur l’ensemble. C’est exactement de cela qu’il s’agit avec l’initiative.

Dans la majorité des cantons suisses, la puissance publique est diluée sur les trois niveaux communal, cantonal et fédéral. Dans le Canton de Vaud, elle est concentrée dans les mains de l’Etat cantonal. C’est ce qui explique que les communes vaudoises soient plus étroitement subordonnées à l’Etat que partout ailleurs en Suisse. Et c’est aussi, d’ailleurs, ce qui explique la résistance fédéraliste que le Canton de Vaud a bien souvent manifestée. Attitude non pas contradictoire, mais symétrique, révélant la primauté du pouvoir cantonal tant à l’égard des communes qu’à l’égard de l’alliance fédérale. Et c’est ce qui explique, enfin, que la compétence en matière de naturalisation, un attribut essentiel de la souveraineté, soit l’affaire de l’Etat de Vaud et non de ses communes.

L’initiative, c’est-à-dire, finalement, la Confédération, intervient dans notre ménage cantonal alors qu’elle n’a strictement rien à y faire sinon des dégâts. Un OUI le 1er juin introduirait dans notre droit cantonal des particularités que nous ne critiquons pas en soi mais qui lui sont étrangères et y engendreraient un désordre dont il peut se passer.

Notre correspondant nous rétorquera que l’affaiblissement de la souveraineté vaudoise est minime en l’occurrence. Nous répondons que toute atteinte à la souveraineté est capitale et inacceptable. Quoiqu’il en soit, la multiplication de ces atteintes minimes, dans tous les domaines de la législation, vide progressivement le pouvoir cantonal de toute réalité tandis que l’administration fédérale s’épaissit d’innombrables compétences politiques qu’elle ne peut gérer que de façon bureaucratique. La centralisation conduit ainsi à une double incohérence. D’où notre refus.

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