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A propos d’une affiche

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1874 23 octobre 2009
Plusieurs communes ont interdit l’affiche prônant l’interdiction des minarets (1). On peut admettre qu’une commune interdise une manifestation ou le placardage d’une affiche pour motif de police. Mais cela doit découler d’une nécessité évidente, d’une atteinte aux moeurs flagrante ou d’une menace directe pour l’ordre public. On en est loin.

Un drapeau rouge à croix blanche est étendu sur le sol, soutenant sept minarets en ombres chinoises. Ils ne «percent» ni ne «déchirent» l’étendard, comme on a pris l’habitude de l’écrire. Ils sont simplement posés dessus. C’est d’ailleurs bien assez. Au premier plan, une femme se dresse, recouverte d’un voile noir. Lourde de symboles, l’affiche de l’UDC relève de l’esthétique d’entre deux guerres, mais plus stylisée, plus allusive, plus riche de significations.

Il y a d’abord l’emblème suisse, avec la croix, maintenu à terre par un autre symbole religieux, étranger de surcroît. Il y a ensuite les minarets missiles, trouvaille d’autant plus habile que ceux-ci n’ont pas subi la moindre transformation de la part du graphiste. Il y a enfin l’effet psychologique produit par la masse noire et menaçante de la femme, dont le voile intégral ne laisse distinguer que les yeux sombres et les épais sourcils froncés. Peut-être d’ailleurs que ce n’est pas une femme, mais un homme camouflé, voire un (ou une) terroriste ceinturé de bâtons de dynamite…

Le slogan «Stop – oui à l’interdiction des minarets» indique que la menace est déjà en cours de réalisation: il n’y a plus à tergiverser, l’initiative est notre dernière chance si nous voulons empêcher que le drapeau ne soit définitivement réduit à l’état de paillasson par les minarets transcontinentaux.

Ce n’est pas une affiche raciste. Le but explicite de l’initiative, c’est le rejet de l’islamisme, non la lutte contre les Arabes. L’affiche vise à éveiller la crainte face à une religion à forte connotation politique et conquérante, non à provoquer une haine de race.

Que le message soit appelé à déborder de son sens strict, notamment en faisant, dans l’esprit de certains, passer l’ensemble des musulmans vivant en Suisse pour des terroristes en puissance, c’est certain. Mais l’affiche est toujours l’élément le plus émotionnel d’une campagne de vote. Une certaine tolérance est de mise et la censure de l’affiche est disproportionnée.

Il ne faut pas oublier que les initiants s’appuient aussi sur un certain nombre d’arguments fondés en raison, que nous avons déjà exposés dans ces colonnes (2). C’est sur cela qu’il faudrait porter l’attention.

Au-delà du cas particulier, ces interdictions créent un précédent et menacent d’en inspirer d’autres. Elles pourraient bien annoncer l’obligation pour les comités d’initiative et de référendum de faire contrôler leurs textes et visuels de campagne par les pouvoirs publics, contrôle humiliant et de surcroît équivoque, l’Etat étant rarement neutre dans le jeu de la démocratie directe.

L’UDC mène le bal, une fois de plus. C’est elle qui dicte les thèmes, le style et le rythme du combat. Elle s’offre même le luxe de jouer les victimes qu’on empêche de s’exprimer librement. Ses adversaires couratent derrière. Au lieu de jouer leur jeu, s’ils en ont un, ils la rejoignent sur son terrain de prédilection, celui des passions.

Pour l’heure, le débat s’est réduit à une seule question: faut-il interdire les minarets ou l’affiche sur les minarets?

Curieusement, même s’ils dénoncent avec indignation les dangers internes et externes que nous ferait courir une acceptation de l’initiative, ses adversaires, en particulier les partis, partent en ordre dispersé et rechignent à cracher au bassinet. Simple radinerie? Thésaurisation en vue des prochaines élections? Incertitudes inavouables quant au fond de la question posée? Quoi qu’il en soit, l’UDC, généreuse de ses deniers et sûre d’elle-même, fait bien meilleure impression sur l’électeur. Selon les événements, ça pourrait faire la différence.

Nous avons ici, nous ne sommes pas les premiers à le noter, une démonstration renouvelée et éclatante de l’inefficacité de la censure en matière de débat politique. En l’occurrence, elle se retourne même contre le censeur: les journaux ne cessent de reprendre l’affiche de l’UDC, les éditorialistes la commentent (!), les caricaturistes s’en donnent à coeur joie. On la voit partout. Les partisans de l’initiative contre l’exportation d’armes l’ont même détournée à leur profit. Dès lors, finalement, peu importe à ses auteurs qu’elle manque sur les panneaux d’affichage de quelques localités!

Tout ceci est à ce point évident que nous avouons ne pas comprendre ce qui meut les partisans de la censure. Serait-ce que, pour eux, l’important n’est pas que le peuple et les cantons prennent une bonne décision, mais qu’eux-mêmes posent, à titre individuel, un acte moral qui renforce leur estime de soi et, éventuellement, leur évite de passer pour des salauds dans les futurs livres d’histoire?


NOTES:

1) Nous avons déjà écrit dans la Nation n° 1860 du 10 mai 2009 que, comme mouvement fédéraliste, nous ne soutenons pas une initiative qui remet à la Confédération la compétence des cantons en matière religieuse, compétence dans l’exercice de laquelle ceux-ci n’ont en général pas démérité. Jugeant qu’acceptée ou refusée, cette initiative serait néfaste pour la Suisse, nous avions à l’époque proposé, sans succès, son retrait.

2) Ibid.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Tout un programme! – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Réflexions sur une visite – Revue de presse, Ernest Jomini
  • L’image de la Suisse – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Nombrilisme prétentieux – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Les peintres vaudois (1850-1950) – La page littéraire, Benoît Meister
  • Jacques Chessex: un Vaudois – La page littéraire, Ernest Jomini
  • Notre défense en proie à une attaque intérieure – Pierre-François Vulliemin
  • L’élection du Conseil fédéral par le peuple, ou: Quand le pouvoir rend niais – Félicien Monnier
  • Une lettre du Parti radical (à propos de la police) – On nous écrit, Gilles Meystre
  • Les CFF se fichent du monde, du Pays de Vaud et de la langue française – Le Coin du Ronchon