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Un événement philosophique

Denis Ramelet
La Nation n° 1889 21 mai 2010
Comme tous les événements philosophiques – dont les conséquences sur le mouvement des idées puis sur la vie des hommes ne se font sentir que des années, des décennies, voire des siècles plus tard –, la publication au début de cette année d’une nouvelle traduction française de la Métaphysique d’Aristote par le professeur André de Muralt a passé inaperçue du grand public.

La Nation a déjà recensé certains ouvrages d’André de Muralt, professeur honoraire de philosophie à l’Université de Genève, en particulier L’enjeu de la philosophie médiévale (Brill, Leyde, 1991) et L’unité de la philosophie politique (Vrin, Paris, 2002). Pourquoi cette nouvelle traduction de la Métaphysique d’Aristote1 constitue-t-elle un événement philosophique?

Non seulement parce que l’homme de Stagire est le plus grand philosophe de tous les temps et que la Métaphysique est son oeuvre principale, mais surtout parce que c’est la première traduction qui cherche non pas uniquement à traduire fidèlement le Stagirite mais encore à expliciter au maximum sa pensée très souvent elliptique. Nous espérons que cette traduction aristotélicienne d’Aristote, d’une part délivrera l’aristotélisme de l’interprétation heideggérienne dominante dans l’aire francophone depuis un demi-siècle, d’autre part le préservera de l’interprétation nominaliste induite par la mode de la philosophie anglo-saxonne.

Bien qu’édité par Les Belles Lettres, ce nouvel ouvrage ne paraît pas dans la fameuse collection bilingue «Guillaume Budé», les options de traduction originales d’A. de Muralt n’étant pas celles de cette collection. D’abord, il a choisi de ne traduire que cinq des quatorze livres de la Métaphysique, «les cinq livres principaux dans lesquels la structure de pensée d’Aristote se manifeste et s’explicite de la manière la plus éclatante» (p. 75): Gamma (la science de l’être), Zêta (la substance), Thêta (l’acte et la puissance), Iôta (l’un) et enfin Lambda (la théologie philosophique).

Ensuite, cette traduction «organise les propositions selon un système de numérotation analytique permettant […] de suivre les relations de consécution de chacune des propositions les unes par rapport aux autres.» (p. 72). A. de Muralt reconnaît qu’il court ainsi le risque d’interpréter l’original, mais il attend du lecteur qu’il apprécie cet effort d’élucidation, d’autant qu’il reste libre de lire la traduction «au kilomètre», sans tenir compte de la numérotation analytique.

Enfin – c’est là l’option la plus originale – cette traduction ne privilégie pas l’érudition philologique et historique, se voulant une traduction doctrinale. C’est pourquoi, si A. de Muralt met scrupuleusement entre crochets tous les mots français qui n’ont pas d’équivalent explicite dans le texte grec – ceci afin de «limiter au maximum les interprétations subreptices auxquelles le mode habituel de traduction n’échappe pas» (p. 71) –, il ne craint pas, par ailleurs, d’insérer dans le cours du texte, toujours entre crochets, des développements plus ou moins longs (par exemple sur la doctrine de la participation ou sur la théologie philosophique), nécessaires pour expliciter une pensée souvent elliptique: «Ainsi seulement sera perçu, non seulement ce que dit Aristote, mais encore ce qu’il veut dire» (ibid, souligné par nous).

Sur le fond, si A. de Muralt n’exclut pas d’avoir, en certains endroits, découvert un aspect nouveau de la pensée du Stagirite, il n’a pas non plus la prétention qu’ont certains traducteurs de «réinventer Aristote» à partir de la «sola scriptura» des manuscrits. Pour tenter de saisir la pensée du grand philosophe grec, il admet s’être aidé d’un grand nombre d’auteurs anciens et modernes, disciples ou adversaires, au premier rang desquels Thomas d’Aquin. Pour autant, «cela ne doit pas porter à conclure que la présente traduction interprète Aristote “d’un point de vue thomiste”, […] mais bien plutôt que Thomas d’Aquin, ayant étonnamment bien compris le Stagirite, est sans doute, après lui, le plus grand des aristotéliciens, et que c’est en tant qu’aristotélicien qu’il est amené à témoigner pour permettre de mieux comprendre Aristote, ce qui est l’ambition même de cette traduction» (p. 75).

Outre une bibliographie et un très riche index des notions – avec leur définition, ce qui en fait un véritable dictionnaire de métaphysique aristotélicienne –, ce volume de 528 pages est introduit par une version remaniée d’un maître article d’André de Muralt paru en 1996 dans la Revue de philosophie ancienne sous le titre: «Genèse et structure de la métaphysique aristotélicienne».

 

NOTES:

1 Aristote, Les Métaphysiques – traduction analytique des livres G, Z, Q, I et L introduite, commentée et annotée par André de Muralt, Les Belles Lettres, Paris, 2010.

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