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NON au service universel

Antoine Rochat
La Nation n° 1904 17 décembre 2010
Le Département fédéral de justice et police a mis en consultation durant l’automne un projet de «disposition constitutionnelle générale concernant le service universel» (FF 2010 p. 5’187).

A la suite d’une initiative parlementaire du conseiller aux Etats grison Theo Maissen (PDC), les deux chambres du Parlement fédéral ont adopté une motion pour une «disposition constitutionnelle en faveur de la desserte de base». Fait piquant, le Conseil fédéral n’est pas favorable à cette nouvelle disposition, mais il doit tout de même donner suite à la motion et ouvrir une procédure de consultation!

Présentation du projet

Le projet entend introduire un nouvel article 41a dans la Constitution fédérale, au chapitre des buts sociaux, dont la teneur serait la suivante:

  1. La Confédération et les cantons s’engagent à ce que la population ait accès au service universel.
  2. Le service universel comprend les biens et services de base répondant aux besoins usuels de la population, notamment dans les domaines de la formation, de l’approvisionnement en eau et en énergie, de l’élimination des déchets et du traitement des eaux usées, des transports publics et privés, des services postaux, des télécommunications et de la santé.
  3. La Confédération et les cantons oeuvrent à ce que les biens et services fournis soient:
    a. disponibles dans toutes les régions du pays;
    b. accessibles à toute la population;
    c. de qualité;
    d. offerts à des prix établis selon des principes uniformes;
    e. abordables pour tous;
    f. disponibles de manière continue.

En outre, la rédaction du quatrième alinéa de l’article 43a de la Constitution, consacré aux principes applicables aux tâches étatiques, serait modifiée, pour obliger les collectivités publiques à respecter les principes du service universel.

Qu’est-ce que le service universel? Le rapport explicatif le définit comme «un objectif qui doit être précisé selon des critères politiques et selon lequel l’Etat s’engage à ce que la population ait accès aux biens et services de base répondant à ses besoins usuels». Le rapport ajoute qu’il s’agit d’un mandat général adressé à toutes les collectivités publiques, et non pas d’une norme de compétence.

L’avis du Conseil fédéral

Dans le rapport mis en consultation, le Conseil fédéral ne cache pas son opposition au projet, qu’il juge inopportun, «en raison de son caractère symbolique et programmatoire», ajoutant que renoncer à ce texte «n’aurait aucune conséquence négative sensible, que ce soit sur le plan pratique ou juridique»!

La conclusion du rapport du Conseil fédéral mérite la citation intégrale, tant elle met en évidence les défauts du projet:

L’article général élaboré en réponse à la motion 05.3232, en cas d’acceptation, n’aurait pas de conséquences directes de nature économique ou sociale. Sa portée serait principalement symbolique et politique. Il n’en découlerait pas d’obligation directe de légiférer. Il est à craindre cependant qu’une accumulation de dispositions vagues, à caractère programmatoire, ne finisse par affaiblir la portée de la Constitution fédérale en tant qu’instrument fondamental régissant les mécanismes de notre Etat. (Rapport explicatif pour la consultation, p. 14).

Notre appréciation

Nous partageons l’avis du Conseil fédéral sur le caractère inutile du projet d’article constitutionnel sur le service universel. Comme la disposition sur les buts sociaux (art. 41 Cst.), un tel article donne l’illusion de créer des droits en faveur des citoyens, alors que tel n’est pas le cas.

Mais il y a plus: ce projet nous paraît dangereux, car il pourrait conduire à un transfert de compétences des cantons à la Confédération. Rappelons les principes fondamentaux de la compétence primaire des cantons et de la souveraineté déléguée de l’Etat fédéral (art. 3 Cst.).

Le projet d’article, à son alinéa deux, énumère des domaines qui pourraient être concernés par le service universel, mais cette énumération est exemplaire et non pas exhaustive («notamment»). Cet article pourrait donc, à terme, être invoqué dans des domaines qui sont de la compétence exclusive des cantons. On aurait ainsi créé les germes d’une compétence générale occulte de la Confédération.

Or, à nos yeux, la desserte de l’ensemble du territoire devrait rester avant tout une préoccupation des autorités cantonales. Le Conseil d’Etat vaudois doit par exemple se soucier des équipements et des services de la Vallée de Joux, de la Broye ou du Pays-d’Enhaut, et pas seulement de ceux de l’Arc lémanique.

Enfin, comme l’a relevé le Centre Patronal dans son excellente «Feuille jaune» (Service d’information du Centre Patronal du 30 novembre 2010), le projet d’article sur le service universel recèle un autre danger, celui de l’étatisation. Le service universel pourrait, un jour, signifier l’intervention universelle de l’Etat dans tous les domaines de la vie courante.

Conclusions

Le Syndicat de la communication, avec l’aide des partis de gauche, a fait aboutir une initiative populaire fédérale «pour une poste forte», sur laquelle le peuple et les cantons seront amenés à se prononcer (FF 2010 pp. 5’813 ss). Cette initiative entend notamment garantir à tous les habitants du pays «un accès rapide à toutes les prestations d’un service universel orienté vers l’avenir» (sic! – FF 2009 pp. 7’239).

Le service universel tend à devenir un thème à la mode de la politique suisse. Nous préférons pour notre part un service public efficace plutôt qu’universel.

Il reste à espérer que les milieux consultés soient, comme le Conseil fédéral, hostiles au projet d’article constitutionnel sur le service universel, et que ce projet retourne dans les tiroirs dont il n’aurait jamais dû sortir.

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