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«Efina» de Noëlle Revaz

Vincent HortLa page littéraire
La Nation n° 1904 17 décembre 2010
Née en 1968 à Vernayaz, Noëlle Revaz a enseigné le français et le latin à Lausanne tout en développant une riche activité littéraire. Son premier roman, Rapport aux bêtes, paru en 2002, a reçu de nombreuses distinctions dont le prestigieux Prix Schiller avant d’être porté sur scène et à l’écran. Avec Efina, Noëlle Revaz récidive avec brio en publiant un roman original et justement remarqué.

Efina est une jeune femme, amatrice de théâtre, qui mène une existence banale dans une ville quelconque. T. (on ne connaît que son initiale) est un acteur à succès, bientôt vieillissant, séducteur invétéré et personnalité à tendance égocentrique. Par le passé, T. a adressé une lettre à Efina et la jeune femme ne saurait dire si elle y a répondu ou non. Mais l’un et l’autre éprouvent le besoin de préciser leurs intentions et leurs pensées. De ce point de départ biaisé naît une correspondance qui va s’étendre au fil des années. Les messages que rédigent la jeune femme et le vieil acteur sont empreints d’un formalisme outré et contiennent souvent leur dose de malice et de perfidie. Ces lettres ne sont pas toutes envoyées mais, chez Efina comme chez T., ce courrier s’accumule, s’insinue, se croise, se répond, jusqu’à former un entrelacs serré qui les unit pour toute la vie.

Tantôt proches, tantôt lointains, T. et Efina mènent chacun leur existence en suivant la pente naturelle de leur destinée. Elle se marie, met au monde un enfant, se sépare, rencontre d’autres hommes, déménage, promène son chien. Lui vieillit, multiplie les conquêtes, joue de moins en moins et chôme de plus en plus, hante les bistrots et les parcs publics. Ils vivront quand même quelques temps ensemble mais leur union, loin d’être un aboutissement, se dissoudra d’elle-même presque involontairement. Arrivé au soir de son ultime représentation, T. ravive une dernière fois l’éclat de sa gloire éteinte et dédie à Efina son triomphe.

Faite de phrases descriptives, sèches et rapides, l’écriture de Noëlle Revaz donne à son roman un rythme nerveux et soutenu. Volontairement, l’auteur se met à distance de ses personnages, présentant crûment leurs inconséquences et leurs petites lâchetés. Cette manière clinique de décrire leurs manies et leurs travers quotidiens, avec une pointe bien acérée d’ironie et de cynisme, s’avère souvent extrêmement drôle.

Si Efina est un roman d’amour, il l’est alors à contre-courant. Loin d’être fondée sur des sentiments exacerbés ou l’émotion immédiate, la relation entre Efina et T. s’inscrit au contraire dans la forme, la durée et la distance. Même si cette fidélité épistolaire ne délivre pas les deux protagonistes de leur solitude, elle les unit à vie et les ramène inéluctablement l’un à l’autre. Ce n’est pas par hasard si, à l’ère des courriels et des SMS, l’auteur leur a fait choisir la forme surannée – mais ô combien délicieuse – de l’encre et du papier pour exprimer ce lien.

Le talent de Noëlle Revaz réside non seulement dans sa grande maîtrise du langage mais également dans sa capacité à faire voir au lecteur les évidences qui se dissimulent derrière les apparences.


Noëlle Revaz, Efina, Gallimard, 2009, 183 p.

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