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Se décentrer

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1921 12 août 2011
Un nouveau venu arrive dans la petite commune. Il s’engage immédiatement dans les activités locales, pompiers, Conseil général, chorale, et y fait feu des quatre fers. Son discours entraînant et ses idées nouvelles galvanisent les habitants. On modernise le matériel, rénove les locaux, multiplie les manifestations de toutes sortes. Il prévoit la création d’une feuille locale. Le journal de la région consacre une demi-page à cette intense vie villageoise.

Après trois ans d’omniprésence, il annonce qu’il se retire: «Place aux jeunes!» proclame-t-il avec entrain. Il s’éloignera de la vie publique, consacrera son temps à son métier et à sa famille, répondant «j’ai fait ma part» à ceux qui déplorent son retrait. D’une certaine façon, il a fait plus que sa part, et mouillé la chemise en trois ans plus que d’autres en trente. C’est un fait avéré qu’il n’est pas mesquin ou égoïste. C’en est un autre qu’il n’a pas tenu la distance. Pourquoi?

Quand on y pense, il est toujours resté à l’extérieur des affaires. Il a vu que la communauté avait besoin de lui, mais il n’a pas senti que lui avait besoin de la communauté. Son engagement a modifié la commune, mais l’a laissé inchangé. C’est d’ailleurs ce qui lui a permis de s’en retirer sans déchirement. La commune a simplement été pour lui, durant un temps, un prolongement de sa personne et de ses intérêts. Il y est entré comme on enfile un nouvel habit. On le porte en toute occasion puis, la lassitude venant, on s’en débarrasse.

Tel autre citoyen, qui a lui aussi un travail et une famille, a assuré plusieurs fonctions publiques au cours des vingt ans qui ont précédé. Il continue, d’ailleurs. Il n’est ni inventif ni spectaculaire, il fait simplement ce qu’il doit faire. Comme on dit, «il prend sur lui». Qu’est-ce qui fait que l’un est un sprinter et l’autre un coureur de fond?

L’engagement du premier constituait un lourd supplément à sa vie ordinaire. Il l’assumait à la volonté et à l’énergie. Pour le second, son engagement est une partie ordinaire de sa vie. Il se soumet au mode de fonctionnement de la communauté, à sa structure, à ses usages, à son rythme, plus lent et serein que le rythme individuel. Cette soumission l’a libéré de son impatience et de la tentation d’être original à tout prix. Elle lui a rendu l’effort plus naturel et moins fatiguant, car il calque généralement son action sur celle de ses prédécesseurs.

Au contraire, l’effort de celui qui reste à l’extérieur est pénible, car il est en porte-à-faux. Il fait tout lui-même, ne profitant ni du mouvement acquis ni des exemples du passé. Sans penser à mal, notre impatient ami a voulu imposer son propre rythme à la commune. Il a réussi, mais au prix d’une dépense d’énergie qui l’a exténué en trois petites années.

Il est sans doute heureux qu’un outsider donne à l’occasion un coup de sac et empêche la routine de dégénérer en mécanique. Mais on a beaucoup plus besoin de personnes qui assurent la continuité et, osons-le dire, la routine. La routine, injustement décriée, ne dispense pas de réfléchir, mais elle oriente et cadre les réflexions et les décisions.

Le premier a adopté une approche individualiste, centrée sur l’individu absolument maître de ses choix, de ses actions et de lui-même. Le second cultive une approche communautaire, où l’individu se décentre et adopte pour lui-même la perspective des communautés dont il fait partie. D’expérience, cette seconde approche débouche sur des engagements à plus long terme, ce qui semble indiquer qu’elle est plus naturelle. Celui qui accepte de n’être qu’une partie du tout trouve dans le service qu’il rend non une fatigue supplémentaire, mais un élargissement de sa propre personnalité. On trouve mieux son bien indirectement, à travers le bien des communautés auxquelles on accepte d’appartenir pleinement, que directement, en conservant jalousement son indépendance et en se concentrant sur soi-même et son seul bien personnel.

C’est notamment cela qui est en jeu dans la question du droit de vote des étrangers sur le plan cantonal. L’initiative, ôtant à l’étranger un motif de faire le pas de la naturalisation, le dissuade de s’impliquer pleinement dans le destin du pays. Elle le laisse à l’extérieur de la communauté et l’incite à conserver son quant-à-soi individualiste. Elle lui donne un droit de décision mais le détourne de cet engagement vital qui donnerait leur vrai poids à ses avis et conseils.

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