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Le jeu du gendarme et du doublon

Le Coin du Ronchon
La Nation n° 1924 23 septembre 2011
La Suisse connaît depuis des années une période de forte croissance. Nous voulons parler ici, bien entendu, de la croissance de l’insécurité et la criminalité, phénomène douloureusement connu du bas peuple et que, curieusement, les médias et les autorités ont récemment cessé de nier ou de minimiser. Mais si les chiffres font aujourd’hui l’objet de confessions publiques, le temps n’est pas encore venu de pouvoir lire des conclusions politiquement incorrectes à leur sujet. C’est pourquoi Le Temps du 4 septembre dernier est allé interviewer M. Olivier Guéniat, le très médiatique commandant de la police judiciaire neuchâteloise, désormais aussi à la tête de la police jurassienne dans l’attente d’une probable annexion.

La grande idée originale de M. Guéniat est – vous ne le devinerez jamais – d’en finir avec nos vingt-six systèmes cantonaux et de créer une grande police romande, en attendant une grande police suisse. Cela permettra de «rationnaliser» et de traquer les «doublons», afin de «dégager» entre mille et mille cinq cents policiers supplémentaires dans «l’espace public» suisse qualifié de «national».

Ce discours sécuritaire est habile. Il séduira les innombrables citoyens qui, à notre époque, se soucient davantage de leur sécurité individuelle que de l’indépendance de leur canton, et il convaincra les politiciens toujours prêts à défendre le drapeau suisse mais jamais capables de raisonner juste sur des questions institutionnelles. Ce discours sécuritaire est aussi paradoxal. M. Guéniat est de ces policiers mal dans leur uniforme qui voudraient que leur métier soit moins répressif et plus social afin d’être à l’écoute des malheureux criminels victimes d’une société injustement inégalitaire. Il le dit sans détours: il faudrait moins de répression et davantage de collaboration et de proximité; quant à la violence débridée qui se déchaîne chaque soir au centre des villes, elle n’est selon lui qu’un épiphénomène inéluctable lié aux merveilleuses transformations de notre société et au fait que «la population s’approprie l’espace public différemment, notamment la nuit». Tous ceux qui n’ont pas la chance de faire partie de «la population» apprécieront.

Bref, la fusion des cantons n’aurait pas pour but d’avoir plus de policiers, mais plus d’animateurs sociaux. C’est là que réside l’aspect le plus novateur des idées de M. Guéniat. Car la rationalisation des forces de maintien de l’ordre en uniforme, ça, ce n’est pas une nouveauté: cela fait des années que, au nom de la lutte contre les doublons inutiles, les autorités israéliennes contrôlent les zones palestiniennes, et que la République populaire de Chine administre le Tibet. Dieu sait combien de postes de fonctionnaires tout cela a permis d’économiser! En Europe même, les énormes efforts de fusions entrepris au début des années 1940 ont échoué, et les simplifications structurelles testées dans les pays communistes (une seule entreprise par kolkhoze, une seule boucherie par quartier, une seule toilette par étage, etc.) n’ont pas été appréciées à leur juste valeur; mais il subsiste aujourd’hui un important potentiel de rationalisation. M. Guéniat acquerrait certainement une renommée internationale s’il suggérait aux Grecs de soulager leurs finances publiques en confiant la répression de leurs émeutes à la Bereitschaftspolizei allemande.

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