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Suicide assisté

Georges Perrin
La Nation n° 1936 9 mars 2012

L’association Exit («Pour le droit de mourir dans la dignité») a déposé en février 2009 une initiative cantonale introduisant l’assistance au suicide dans les EMS RIP (ce dernier sigle ne semble pas être une inscription tombale, mais désigne les établissements «Reconnus d’Intérêt Public», subsidiés par l’Etat), et ce, nonobstant toute opposition pouvant provenir de la direction et du personnel soignant. En voici le texte: «Les EMS qui bénéficient de subventions publiques doivent accepter la tenue d’une assistance au suicide dans leur établissement pour leurs résidents qui en font la demande à une association privée pour le droit de mourir dans la dignité ou à leur médecin traitant en accord avec l’art. 115 du Code pénal suisse et l’art. 34 alinéa 2 de la Constitution vaudoise.»

L’association s’est déjà introduite dans des EMS et des hôpitaux, et l’on se demande ce qu’elle cherche de plus; elle trouve sans doute de la résistance ici et là et, animée de la passion missionnaire qu’on lui connaît, sûre de sa vocation à offrir la bonne solution aux maux de fin de vie et aux souffrances insupportables, si ce n’est aux douleurs simplement chroniques, voire à l’ennui de la vie (comme cela se voit de plus en plus souvent), elle n’hésite pas à violenter les convictions contraires à ses volontés.

Il est vrai qu’Exit, dans sa pratique actuelle, n’est pas répréhensible pénalement; elle est en conformité avec la Constitution vaudoise, le Code pénal fédéral et la Convention des Droits de l’homme, où la liberté de terminer sa vie appartient à chacun. Mais qui commettra le geste qui va donner la mort? Personne ne peut y être contraint. On ne voit pas comment le «droit de mourir dans la dignité» (si tant est que cette expression ait un sens) puisse être opposé à quiconque.

Les exigences minimum du droit fédéral, comme les directives de l’Académie suisse des sciences médicales, imposent de s’assurer de la liberté de décision de celui qui demande l’aide au suicide, la permanence de son désir (et non une velléité passagère), l’existence d’une souffrance insupportable, une situation de fin de vie sans amélioration prévisible; le suicidant doit faire lui-même le geste mortifère (injection ou ingestion du poison). Du côté de l’exécutant, il ne doit y avoir aucun intérêt égoïste à cette mort.

L’exécution d’un suicide assisté, avec toute sa mise en scène, ses différentes phases et gradations d’émotions, les responsabilités diverses des intervenants, dans un milieu d’hôpital ou de home de vie, pose des difficultés d’organisation et de sécurité qui ont poussé le Conseil d’Etat, après enquête et consultations, à opposer à l’initiative un contre-projet. Exit ne voulant pas se rallier à celui-ci, les deux objets seront soumis à la votation populaire de juin prochain.

Le contre-projet naturellement maintient les exigences de base, mais il impose en plus un cadre de procédure:

– Le médecin de l’établissement n’est plus seul à juger de la demande de suicide; il le fait en collaboration avec les soignants.

– Il doit s’assurer que toutes les autres possibilités de traitement de la douleur ou des handicaps, en particulier les soins palliatifs, ont été proposées et refusées.

– Le médecin responsable doit informer dans un délai raisonnable la direction médicale et administrative de l’établissement. Sa décision est consignée par écrit.

– Si le résident possède un logement extérieur, le médecin peut proposer que le suicide s’y accomplisse.

– Ni le personnel de l’établissement, ni le médecin traitant ne peuvent assister à titre professionnel au déroulement du suicide; ils le peuvent par contre à titre privé.

Notons deux excellents points dans ce projet: le fait d’abord que le médecin ne soit pas seul à prendre une décision dans un acte si important, bien qu’il en soit le responsable; les soignants autour d’un malade sont souvent mieux à même de juger de ce que vivent les résidents, ce sont eux qui sont constamment présents à tous les moments de leur vie.

Ensuite, la possibilité offerte d’exécuter l’acte de mort ailleurs que dans le home, car bien des maisons d’accueil ne voient pas comment concilier leur lieu de vie avec cette pratique insolite.

Enfin, la séparation bien affirmée entre les activités de la maison (tenue de travail), et celles de cet office funèbre (changement de casquette), dont on peut craindre l’effet déstabilisant sur l’entourage.

Par contre, la contrainte exercée sur les EMS dits RIP ressemble un peu trop à un marchandage pour acheter une conscience délicate. Elle nous est présentée comme le statut normal, mettant tout le monde sur pied d’égalité, par l’application d’un droit universel, alors que les EMS privés n’ont pas cette obligation parce qu’ils jouissent de contrats particuliers pour leurs résidents. L’impression reste néanmoins désagréable et ambiguë.

Est-ce à dire qu’il y ait lieu de se féliciter de la nouvelle organisation ainsi créée si le contre-projet était accepté? Les opposants ne manquent pas. Mis à part les établissements dont nous venons de parler, qui refusent tout simplement des corvées qui leur déplaisent, et telles qu’on ne peut les imposer à n’importe qui, il y a ceux qui craignent pour leur réputation, que ce soit pour leurs résidents actuels, la clientèle que l’on veut attirer par l’élégance du cadre, de la maison, la qualité du personnel et des soins, ou à l’égard du voisinage, qui n’est pas nécessairement enchanté de ce qu’il voit et devine; il l’a montré à Zurich à l’encontre de Dignitas.

Il y a aussi et surtout les établissements tenus par des directions et du personnel motivés spirituellement, reliés à l’Eglise catholique, à l’Armée du salut, à une église évangélique ou un autre mouvement charitable. Ils ressentent l’arrivée d’Exit comme une intrusion forcée dans leurs murs, et apportant une philosophie de la vie à l’opposé de la leur. «On veut pouvoir intervenir dans les EMS comme à domicile», prétend le directeur d’Exit, sans nuances. Certains craignent que l’Etat leur retire ses prestations, tant sa volonté est forte de mettre l’uniformité partout. Ils peuvent alors craindre de devoir trier leur clientèle en fonction de ses revenus, ce qui est difficilement imaginable dans un village ou une petite ville où le home doit être ouvert à toute la population.

On peut se demander ce qui a incité le Conseil d’Etat à profiter de la situation pour imposer pareille obligation en forçant les consciences, et ce malgré des résistances qui semblent vouloir aller jusqu’au refus. N’est-il pas possible d’offrir la possibilité de contrats différents en accord avec la finalité des établissements? Ou faut-il que M. Sobel puisse imposer ses vues à tous? Le médecin cantonal, M. Karim Boubaker, a fait à ce propos une remarque très importante: le Code pénal ne réprime plus l’assistance au suicide, certes; cependant, dès maintenant, «on franchit un pas supplémentaire avec l’initiative et le contre-projet adopté par le Conseil d’Etat vaudois. Car les deux objets visent la reconnaissance de ce droit dans la loi cantonale, ce qui obligera les établissements à l’appliquer».

Sur le fond de la question du suicide, nous ne ferons que reproduire la déclaration faite par les représentants de l’Eglise catholique lors de la consultation: le suicide est un péché mortel, et «à cause de sa similitude avec l’homicide sur demande, nous refusons catégoriquement l’aide au suicide».

La position du Conseil fédéral est claire, et ne change pas: il faut renoncer à modifier la législation pénale fédérale pour régler l’assistance au suicide. Il est possible de parer aux éventuelles dérives avec les instruments légaux actuels, notamment grâce aux soins palliatifs (qui sont organisés, dans le Canton de Vaud, à Lausanne et dans toute la périphérie, depuis dix ans déjà).

La votation de juin portera sur l’initiative et sur le contre-projet. L’une et l’autre nous paraissent inacceptables.

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