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La dette publique européenne

Vincent Hort
La Nation n° 1945 13 juillet 2012

Depuis trois ans, toute l’actualité financière est occupée par la crise de l’euro. Les menaces qui pèsent sur la monnaie unique sont directement liées à l’énormité de la dette accumulée depuis de nombreuses années par les états européens et qui atteint aujourd’hui des niveaux que les marchés jugent insupportables.

En 2011, le total de la dette publique des pays de l’Union européenne s’élevait à 10’422 milliards d’euros. De ce montant colossal, la dette grecque ne représente qu’un «modeste» 3,4%, soit 356 milliards d’euros, alors que la dette allemande, à 2089 milliards d’euros, pèse à elle seule 20%1.

Rapportés à la taille de l’économie nationale, le taux d’endettement d’un pays se mesure en pour-cent du produit intérieur brut (PIB). Avec un ratio de 165%, la Grèce apparaît bien comme le mauvais élève de la classe européenne devant l’Italie à 120%, l’Irlande et le Portugal, chacun à 108%. A l’autre extrémité du classement, l’Estonie (6%) ne semble pas connaître de problème de dette publique. Pour l’ensemble de la Zone euro, ce taux atteint aujourd’hui 87% alors que l’un des critères de Maastricht fixait le plafond d’endettement à 60% du PIB.

Hors de l’Union européenne, les Etats-Unis ont vu l’an dernier leur ratio d’endettement dépasser la barre des 100% du PIB alors que le Japon détient depuis longtemps le record parmi les économies développées avec un taux de 229% qui ne semble cependant pas inquiéter les marchés outre mesure2.

Quant à la Suisse, son taux d’endettement se limite à un raisonnable 38%3 du PIB. Les raisons qui expliquent cette bonne santé relative sont diverses. On peut rappeler notamment que le peuple et les cantons ont accepté, en 2001 déjà, l’introduction d’un frein à l’endettement visant à assurer l’équilibre des dépenses et des recettes de la Confédération. Les scrutins ultérieurs relatifs à la révision de l’assurance-vieillesse, à l’assainissement de l’assurance-invalidité ou à la réforme de l’assurance-chômage ont régulièrement confirmé cette prudence à l’égard des deniers publics. Pour autant, la Suisse n’est pas à l’abri des conséquences de la crise qui frappe ses voisins.

Depuis 2009, l’Union européenne a dû financer plusieurs plans de sauvetage pour éviter à l’un de ses membres de se trouver en situation de défaut de paiement.

Après la Grèce, l’Irlande et le Portugal, ce sont désormais l’Espagne – l’une des principales économies européennes – et Chypre qui vont recevoir une aide financière destinée à recapitaliser leur secteur bancaire. Au total, ces plans de sauvetage représentent déjà près de 500 milliards d’euros. L’aide octroyée est en général assortie de conditions sévères qui se traduisent par des plans d’austérité draconiens.

afin de pouvoir répondre aux besoins d’emprunt des pays en difficulté, l’Union européenne, conjointement avec le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne, a institué un mécanisme de stabilité permettant de mobiliser des moyens financiers très importants, actuellement à hauteur de 750 milliards d’euros.

Jusqu’ici, cette stratégie a permis d’éviter qu’un pays renonce à l’euro pour récupérer la souveraineté monétaire qu’il a abandonnée à la Banque centrale européenne et financer lui-même, par la planche à billets, le fonctionnement du ménage public.

Pour ne pas se trouver à leur tour dans la catégorie peu enviable des bénéficiaires d’un plan de sauvetage, la plupart des Etats européens ont mis en place d’importants programmes d’économies afin de répondre aux inquiétudes que suscite l’ampleur de leurs déficits.

Ces mesures interviennent après des décennies de déséquilibres budgétaires et cette vertu soudainement retrouvée contribue à les plonger en récession.

Ainsi, le remède administré se révèle non seulement douloureux mais souvent inefficace.

Au-delà des actions prises en réponse à des situations particulières, les pays de l’Union européenne, à l’exception du royaume Uni et de la Tchéquie, ont conclu en mars 2011 un pacte de stabilité, confirmé en février 2012 par un pacte de discipline budgétaire. Ces accords, fortement souhaités par l’Allemagne, sont destinés à renforcer la gouvernance et instaurer une coordination plus étroite des politiques économiques et budgétaires au sein de la Zone euro.

Mais tous les efforts entrepris jusqu’ici ne sont pas parvenus à calmer la méfiance des marchés. D’autres solutions sont désormais évoquées pour tenter de sortir l’Europe de la crise. Il s’agit, par exemple, de stimuler la croissance, d’émettre des euro-obligations ou de faire carrément le «saut du fédéralisme».

Les mesures en faveur de la croissance appartiennent aux propositions du président François Hollande qui avait fait de la renégociation du pacte de stabilité un argument de sa campagne électorale.

Une croissance économique insuffisante constitue certainement l’un des facteurs à l’origine de la crise actuelle. Mais la croissance ne se décrète pas. Elle procède de conditions cadres favorables qui font souvent défaut aux pays endettés, lesquels souffrent souvent du poids excessif de l’appareil étatique, d’une fiscalité étouffante et de multiples rigidités structurelles. Stimuler la croissance en développant des politiques publiques ou des programmes d’investissements ambitieux se heurte au niveau déjà élevé d’endettement de ces Etats. Avec des caisses vides, la mise en oeuvre de tels programmes ne pourrait se réaliser que par de nouveaux emprunts, c’est-à-dire par une aggravation supplémentaire de la dette. C’est fort de ce constat que Allemagne a régulièrement exprimé ses réticences envers une option qui revient à soigner la dette par la dette.

Une autre suggestion consiste à émettre des euro-obligations pour se substituer aux dettes nationales actuelles ou pour financer des projets dits «de croissance». schématiquement, cette proposition reviendrait à émettre des emprunts garantis conjointement par tous les pays de l’Union européenne mais tout spécialement par les plus solvables d’entre eux, au premier rang desquels on trouve bien évidemment Allemagne Ce faisant, les pays les plus endettés bénéficieraient de taux d’intérêt moins élevés que ceux que les marchés leur imposent actuellement et ils auraient ainsi une chance de briser la spirale du déficit dans laquelle le poids du service de la dette les maintient.

L’euro-obligation correspond donc à un produit d’investissement qui mutualise les créances solvables et les créances douteuses. Il n’est, par conséquent, pas fondamentalement différent des sub-primes du marché hypothécaire américains. Il est à craindre que le pot commun des dettes publiques européennes ne finisse par se transformer en pot pourri.

Refusant de donner sans contrepartie sa caution à des partenaires surendettés, Allemagne prône une gouvernance renforcée des politiques budgétaires, fiscales et économiques au sein de la Zone euro dont elle fixerait les règles. Poussant cette logique jusqu’au bout, certains préconisent de faire le «saut du fédéralisme» sans que l’on sache très bien de quoi il s’agit exactement, ni quelles en seraient les conséquences sur les institutions communautaires. Cette proposition sonne comme une fuite en avant et il est vraisemblable que les peuples et les gouvernements des différents Etats membres ne soient pas prêts à accepter de tels abandons de souveraineté.

Le dernier sommet européen qui s’est tenu les 28 et 29 juin derniers à Bruxelles a bien illustré ces tractations et les hésitations sur la voie à suivre.

En échange d’une concession apparente sur un pacte pour la croissance, Allemagne a obtenu la confirmation du pacte de discipline budgétaire qui lui donne de facto un droit de regard sur les choix budgétaires des autres Etats membres.

Au-delà de ces différentes solutions, l’inflation demeure la réponse classique à l’endettement des Etats. Cette possibilité apparaît d’ores et déjà en filigrane des mesures mises en oeuvre depuis trois ans car la création d’immenses quantités de monnaie par la Banque centrale européenne (et par la réserve fédérale américaine) pour répondre aux besoins de financement des Etats et des banques ne peut qu’avoir, tôt ou tard, un effet de hausse des prix.

Les incertitudes engendrées par l’énormité de la dette européenne sont telles qu’il est impossible de prédire ce qu’il adviendra dans une semaine, un mois ou une année. Différents scénarios sont envisageables. Ni l’éclatement pur et simple de la Zone euro, ni le redressement miraculeux des finances publiques des Etats endettés par la grâce des plans d’austérité ne semblent les scénarios les plus probables.

Il apparaît certain que les pays créanciers chercheront à réformer les institutions communes pour parvenir le plus rapidement possible à la restauration des équilibres budgétaires et à une convergence accrue des économies.

Selon leurs vues, cette «thérapie de choc» passe par des programmes d’austérité draconiens et la mise sous tutelle des politiques budgétaires des pays assistés, assortie de sanctions automatiques en cas de manquement aux objectifs de redressement.

Ces mesures se heurteront à de fortes résistances intérieures et à l’impatience des marchés. Elles demanderont du temps pour être appliquées et plus encore pour produire leurs effets en termes de productivité et de compétitivité. Dans un tel contexte, l’Union européenne poursuivra ses efforts pour venir en aide, au coup par coup, aux banques et aux Etats les plus fragiles tout en espérant limiter ses interventions à des pays périphériques.

Toutefois, le risque de voir la France ou l’Italie menacées à leur tour par une défaillance ne peut aujourd’hui être écarté. Jusqu’ici, l’Union européenne est parvenue à éviter que l’un de ses membres, incapable de répondre aux exigences de rigueur de ses bailleurs de fonds ou refusant sa mise sous tutelle, ne quitte la Zone euro. Un tel scénario provoquerait alors un échec politique et économique tel que ses conséquences seraient incalculables. Le pari est donc loin d’être gagné et la période d’incertitude va se prolonger de longs mois.

 

1 Source: Eurostat.

2 Sans doute parce que l’essentiel des dettes de l’Etat japonais est détenu par les nationaux eux-mêmes.

3 Taux cumulé des collectivités publiques (cantons, Confédération, communes).

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