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Initiative «Jeunesse + musique» - Dissonante subsidiarité

Félicien Monnier
La Nation n° 1945 13 juillet 2012

Il est tout aussi faux de croire que la Confédération saura faire de nos écoliers des petits Schubert en réglant les programmes scolaires que de croire que nos cantons ne sont pas capables de se décider entre un dièse et un bécarre pour en faire des petits Mozart!

En 2007, l’association «Jeunesse + musique», composée de représentants des milieux de l’enseignement et de la pratique de la musique (conservatoires, faîtières d’associations musicales, etc.), a fait aboutir l’initiative fédérale éponyme. Il s’agissait alors d’ancrer dans la Constitution fédérale un nouvel article 67a composé de deux alinéas. Un premier ordonne à la Confédération et aux cantons d’encourager la formation musicale, en particulier des enfants et des jeunes. Le second donne compétence à la Confédération de fixer les principes applicables à l’enseignement de la musique à l’école, à l’accès des jeunes à la pratique musicale et à l’encouragement des talents musicaux.

Les colonnes de ce journal seront les premières à vanter les mérites d’une éducation musicale de qualité. La consommation musicale, plus ou moins subtile, du petit vaudois ayant une fois entendu Bach n’en sera alors influencée que positivement. De plus, la pratique musicale en tant que telle contribue à développer la culture générale, la sensibilité intellectuelle et la vie sociale. Nous aurions pu applaudir.

Mais la poursuite d’un objectif louable en lui-même ne tolère pas toutes les formes de mises en oeuvre. C’est le discours que le Conseil fédéral semblait tenir en indiquant à l’assemblée fédérale que «donner à la Confédération la compétence de légiférer sur les principes de l’enseignement musical à l’école, comme le propose l’initiative, constituerait une atteinte à la souveraineté cantonale en matière d’éducation récemment confirmée par le peuple et les cantons»1. L’exécutif fédéral fait ici référence à la votation du 21 mai 2006 à l’occasion de laquelle le peuple et les cantons avaient accepté l’espace éducatif suisse unifié. Nous nous y étions alors opposés. Il s’agissait déjà d’une centralisation.

Suivant l’opinion du Conseil fédéral, l’assemblée fédérale a opposé un contreprojet, moins centralisateur de prime abord que l’initiative. Les initiants s’y sont entre-temps ralliés. Il sera donc seul soumis au vote de la double majorité. Avec ce contre-projet, la Confédération continue à «encourager», cette fois «avec les cantons», la formation musicale. Deuxième modification, c’est «avec la participation des cantons» que les principes applicables doivent être fixés; et non plus par la seule Confédération, comme le prévoyait l’initiative.

Un alinéa supplémentaire a été ajouté. Il est l’élément le plus sournois du contre-projet. «Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons s’engagent à promouvoir à l’école un enseignement musical de qualité. Si les cantons n’aboutissent pas à une harmonisation des objectifs de l’enseignement de la musique à l’école, la Confédération légifère dans la mesure du nécessaire.» C’est une concrétisation du principe de subsidiarité dans sa version la plus perverse. Elle semble ici motivée par la nouvelle conception de la politique scolaire suisse, fonctionnant par objectifs devant être réalisés par régions. Le spectre d’Harmos est tout proche.

Le principe de subsidiarité permet de voir une entité politique de petite taille perdre une compétence au profit d’une entité plus grande. Ce transfert s’effectue une fois qu’il a été décidé que la plus petite entité ne parvenait pas (ou plus) à exécuter sa compétence. Ce principe peut sembler être l’expression du bons sens. Il doit néanmoins être manipulé avec la plus grande précaution. Car, de lui-même, il ne répond pas à la question clef: celle de savoir qui décide que la plus petite entité n’est pas (ou plus) capable d’exercer sa compétence.

Au niveau fédéral, deux possibilités s’offrent alors à nous: soit les cantons décident ne plus être capables, soit la Confédération le fait à leur place. Si les cantons admettent ne plus être capables d’exercer une compétence, ils la transfèrent, à la double majorité, à la Confédération. Le mécanisme devrait s’arrêter là. Mais le texte proposé s’inscrit dans une perspective différente. Avec ce dernier, les cantons laissent la Confédération décider s’il convient qu’elle s’arroge la compétence de «légiférer dans la mesure du nécessaire». Certes, lors de la votation, ils décideront – avec le peuple – du mécanisme auquel ils seront soumis. Mais le résultat de l’application de celui-ci leur échappera totalement. Ils sont le supplicié qui a le droit de choisir les instruments de son martyre.

Les chantres du fédéralisme revisité, de la rénovation de nos vieilles institutions prétendument décrépies, trouveront sans doute le mécanisme fabuleux. Ils surestimeront simplement la capacité de l’entité centrale à faire confiance aux entités fédérées. Rapidement nous les entendrons parler de la taille critique que les cantons n’ont plus, du cantonalisme étroit de ces colonnes; autant d’affirmations péremptoires ânonnées au nom de l’efficacité centralisatrice.

Ce mécanisme de subsidiarité, cumulé au transfert à la Confédération d’une compétence limitée aux principes, est une bien faible atténuation du centralisme de la première version du texte. Encore une fois, nos autorités fédérales ont beau jeu d’invoquer massivement le fédéralisme mais de n’en tirer que d’infimes conséquences. C’est la preuve que la Confédération a une tendance naturelle à s’arroger des prérogatives politiques. Cette tendance démontre par elle-même l’inanité du principe de subsidiarité, et donc celle du mécanisme de mise en oeuvre de ce texte constitutionnel.

1 Message du Conseil fédéral du 4 décembre 2009 relatif à l’initiative populaire «Jeunesse + musique», FF 2010.

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