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Le Synode, le partenariat enregistré, le courage

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1952 19 octobre 2012

Vous êtes membre du Synode de l’Eglise réformée du Canton de Vaud et vous vous préparez moralement à débattre de la bénédiction des couples de même sexe ou, plus exactement, des «couples au bénéfice d’un partenariat enregistré au sens de la loi suisse».

Il y a quatre ans déjà, ce débat avait été ajourné pour étude et rapport. Vous en aviez éprouvé comme un lâche soulagement, car, sur cette question, vos sentiments, vos idées et votre foi se heurtent dans le plus grand désordre.

Spontanément, vous éprouvez une réticence instinctive à l’égard de l’homosexualité. Mais en même temps, vous êtes honteux de votre attitude, trop conscient aussi de vos propres défaillances, occasionnelles ou persistantes, pour reprocher à un homosexuel de céder à une attirance dont il n’est, après tout, pas maître.

Mais vous êtes conscient que vous faites partie d’une autorité ecclésiastique et que les membres du Synode ne devront pas décider en fonction de leurs pulsions et sentiments personnels, mais en se plaçant dans la ligne de l’enseignement du Christ et des Apôtres.

Vous éprouvez un certain malaise face aux pressions qu’exercent quotidiennement sur vous certains milieux homosexuels militants relayés par les médias.

Quoi qu’il en soit, vous devez bien vous avouer que c’est avec le désir à demi formulé de dénicher des motifs d’acceptation que vous avez lu le rapport du Conseil synodal.

Déception. Vous avez trouvé beaucoup de banalités sur l’amour (l’«Amour sans conditions qui éclate les barrières de nos amours humaines»), la souffrance, l’urgence, l’audace («oser poétiser l’expérience humaine»). Ces formules, nouveau patois de Canaan, sont évidemment orientées, mais elles sont surtout si imprécises qu’elles découragent la contestation aussi bien que l’approbation.

Vous découvrez de consternantes platitudes dans les trois projets de liturgie. On vous propose, par exemple, «je crois en Jésus-Christ parce qu’il n’a jamais flirté avec le mensonge…» ou encore «ne boudez pas votre plaisir de voir l’Amour l’emporter dans ce monde de furieux». Et vous vous dites, à la manière de Brillat-Savarin, qu’on devient théologien, mais qu’on naît liturgiste.

Vous n’avez pas, et pour cause, trouvé dans ces projets liturgiques la moindre référence à des couples homosexuels qui auraient illuminé la chronique biblique. En revanche, vous relevez pas mal d’allusions désobligeantes, préventives en quelque sorte, à l’attention de ceux-là mêmes qui pourraient s’opposer à ce type de bénédiction: «ce n’est pas la haine ou le rejet qui ont gagné», par exemple, ou «nous tous qui sommes là, ne nous laissons pas convaincre par certaines paroles qui crient fort et publiquement, qui affirment et assènent leurs vérités au mépris des personnes», ou encore «Père nous te confions [prénoms et noms des partenaires], et que la bêtise et la haine des “bien-pensants” ne les décourage pas!» Les opposants à la bénédiction en cause seraient donc, aux yeux des partisans de l’«amour sans conditions», des individus haineux, méprisants et bêtes? Vous êtes une personne plutôt accommodante, mais cette liturgie publique qui jette l’opprobre sur une partie des fidèles vous révolte.

Les Ecritures ne sont guère mieux traitées. L’interprétation des textes consacrés à l’homosexualité, dans la Genèse, le Lévitique, l’Epître aux Romains et la première aux Corinthiens, vous semble surtout destinée à noyer le poisson. Vous vous irritez particulièrement de la réduction de sens imposée aux versets 26 et 27 du premier chapitre de l’épître aux Romains: C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions avilissantes: leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature; les hommes de même, abandonnant les rapports naturels avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme à homme et recevant en leur personne le juste salaire de leurs égarements. Les partisans se contentent d’en inférer que Paul n’a pas pour intention première de condamner l’homosexualité, mais qu’il a simplement utilisé les catégories de son temps pour illustrer le désordre du monde et le fait que tous les hommes ont besoin du pardon.

Après tout, vous n’êtes pas théologien et vous êtes assez disposé à recevoir cette interprétation. Mais vous ne voyez pas en quoi l’intention générale de Paul autoriserait l’exégète à tenir pour rien le sens immédiat et sans ambiguïté de ces deux versets. Et vous le voyez d’autant moins que, dans la Bible et dès l’aube des temps, les couples humains sont toujours mixtes. Ce fait n’a-t-il pas, tout de même, une portée normative implicite?

Il vous semble certes incontestable que les propos de Paul sont incompatibles avec le principe moderne de la liberté absolue (sous réserve du consentement du partenaire) de l’individu en matière de sexualité. Ces deux versets – et combien d’autres – sont extrêmement choquants pour nos contemporains. Ils vous choquent vous aussi d’ailleurs, car on est toujours de son époque. Mais cette incompatibilité justifie-t-elle une glose qui passe sous silence leur contenu premier? C’est une chose d’actualiser les textes bibliques pour parler au monde d’aujourd’hui, c’en est une autre d’altérer leur sens même en fonction de l’opinion dominante.

C’est tout naturellement sur le mariage même que l’attitude théologique des partisans est la plus partiale. Ils insistent sur le fait qu’il n’y a pas qu’une sorte de mariage, ce qui est évident, et qu’Abraham était polygame, comme on sait. Ils évoquent, d’une façon assez vulgaire, le «couple à trois» formé par Isaac, Lea et Rachel. A propos du fils de Ruth et de Booz, ils énumèrent la complexité des règles de filiation juives, certes fort éloignées des nôtres. Leur effort, vous l’avez compris, tend à faire du mariage une affaire purement terrestre, dont la forme se modifie selon l’époque et le lieu. Selon l’évolution des mœurs, le mariage peut donc parfaitement intégrer le couple homosexuel. Le rapport rappelle que, pour les réformateurs, le mariage est «de l’ordre de la création et non de l’ordre du salut».

Vous jugez cette exégèse dilatoire. Le mariage est certes un élément central de la création. Il donne une forme stable et publique à l’amour entre les époux et le renforce de l’extérieur. Il règle la protection et l’aide qu’ils se doivent l’un à l’autre ainsi qu’à tous ceux dont ils ont la responsabilité. Il est le cadre naturel de l’éducation des enfants, lesquels perpétuent la lignée familiale et l’espèce humaine. Il constitue l’élément structurant fondamental de la communauté politique. Liées à la nature humaine, ces finalités du mariage sont de tous les pays et de tous les temps, si diverses qu’en soient les formes sociales et juridiques.

Le mariage chrétien est aussi tout cela, mais il est plus que cela. Le Christ rappelle que le mariage est depuis le début des temps fondé sur l’union d’un homme et d’une femme, monogamique et indissoluble: Mais au commencement de la création, Dieu fit l’homme et la femme; c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair.1 Et comme le dit saint Paul2, le mariage ainsi défini symbolise le lien exclusif et indestructible qui unit le Christ et son Eglise.

Le partenariat enregistré correspond-il vraiment à cette double synthèse de l’institution et du symbole, de la fécondité terrestre et de la fidélité divine? Vu sous cet angle, vous vous demandez si cette bénédiction quasi nuptiale n’est pas un simulacre. Les partisans, comme les auteurs des trois propositions liturgiques, ne se posent même pas la question et traitent d’autorité le partenariat comme un équivalent du mariage chrétien. La deuxième proposition s’inspire même directement de la bénédiction nuptiale ordinaire de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud. Là encore, vous trouvez qu’on force les choses.

Les opposants évoquent longuement les risques de scission dans l’Eglise évangélique réformée vaudoise, craignant que beaucoup de fidèles engagés ne migrent vers les assemblées évangéliques. Ils s’effraient aussi de devoir se trouver en désaccord frontal avec ces dernières, avec les Eglises catholique et orthodoxe, avec un certain nombre d’Eglises réformées… ainsi qu’avec deux mille ans de vie chrétienne. Vous êtes œcuménique et cet argument vous touche au cœur. Les partisans contestent le risque. Les remarques entendues à la sortie du culte vous font penser qu’ils ont tort. Les dégâts sont programmés. Seule leur ampleur est incertaine.

Le Conseil synodal écrit3 qu’en cas de refus, «le débat sur ces questions serait clos jusqu’à nouvel avis». Vous êtes bien certain que le «nouvel avis» n’attendra pas deux ans et vous êtes tenté d’accepter pour en finir. Mais vous savez aussi qu’on n’en finirait pas davantage. Car la question particulière de la bénédiction des couples de même sexe n’est qu’un aspect du lancinant processus d’indifférenciation qui dissout peu à peu l’Eglise dans la société.

Le Synode approche. Théologiquement, vous croyez que la bénédiction ne convient pas. Institutionnellement, vous en êtes même certain. Moralement, vous êtes «plutôt contre». Mais la question qui se pose à vous n’est pas d’abord théologique, institutionnelle ou morale. C’est celle du courage.

Notes:

1 Marc 10: 6-8.

2 Eph. 5: 22-27.

3 P. 10 de son Rapport du 4 septembre.

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