Juvenilia CXIX
«Il faut que je vous parle», me dit Porfirio avec une franchise légèrement surjouée qui n’annonce rien de bon. En effet, il me fait savoir qu’il renonce à participer au spectacle théâtral public préparé par sa classe depuis plusieurs mois. La représentation unique a lieu le surlendemain de cette ahurissante déclaration. En bon sportif, Porfirio a choisi un match de foot contre son rôle d’acteur. Aucun argument – priorité du premier engagement, solidarité, abandon d’un travail patient, baisse de qualité du spectacle – ne parvient à ébranler sa décision: mercredi à 20h00, ce sera le gazon, non la scène.
Je le laisse là, sans mot dire, et vais faire exploser ma colère à distance, afin qu’il ne voie pas quelle emprise sa froide détermination a sur mes nerfs. Quelques heures plus tard, je l’envoie avouer sa forfaiture à ses camarades. Plutôt que de lui infliger de vaines sanctions, je me livre par anticipation à la mauvaise joie de l’empereur romain qui abaisse le pouce; car je ne doute pas que ce sera la curée et qu’il finira déchiqueté pour sa trahison.
Eh bien pas du tout: il y eut bien quelques explications et une passagère indignation. Ces mouvements divers furent interrompus par Anita: «La discussion est inutile, puisqu’il est certain que Porfirio ne sera pas avec nous mercredi. L’urgence est de trouver une solution.» Rapidement, il fut décidé que Damien, qui a une bonne expérience du théâtre, serait capable de mémoriser le rôle vacant en vingt-quatre heures. Il accepta avec une tranquille modestie, et participa au succès de l’entreprise. Pour couronner la réussite de la soirée, Anita reçut un message sur son portable: l’équipe de Porfirio avait gagné le match. Clameur de la classe: «On est des champions!»
Dans un premier temps, j’ai eu un peu honte de mes mauvaises pensées en regard de la générosité de mes élèves. Assurément, leur réaction a été plus constructive que mes aigreurs vengeresses. Mais il y a une autre explication, sans doute complémentaire, à cette surprenante attitude: ils sont habitués à vivre dans un désordre social ordinaire, augmenté par l’usage des téléphones portables qui permettent de se dédire à la dernière minute, de changer de projet, de renvoyer ses rendez- vous. Le respect de la parole donnée et la fidélité aux engagements sont des valeurs morales en baisse, tandis que la souplesse, la capacité d’adaptation sont à la hausse.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La Bible, un texte sacré parmi d’autres? A propos de la Haute Ecole de Théologie – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Où s’arrête la Romandie? – Yves Gerhard
- L’aventure spirituelle de Nietzsche – Lars Klawonn
- La formation des officiers à nouveau reconnue – Edouard Hediger
- Quelques raisons de refuser la révision de la loi sur la radio-TV – Pierre-Gabriel Bieri
- Chavannes-près-Renens, paradis des vacances – Jean-François Cavin
- Chronique sportive – Antoine Rochat
- Soutien aux Alpes vaudoises: le Conseil d’Etat néglige le Pays-d’Enhaut – Antoine Rochat
- Redécouverte de Gilles – Daniel Laufer
- Tournez à droite! – Le Coin du Ronchon