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Jean-François, propriétaire

Jean-Michel Henny
La Nation n° 2093 30 mars 2018

Jean-François est en colère. Il ne pourra pas construire la villa qu’il souhaitait offrir à sa fille. Il ne pourra pas non plus transformer la maison où il habite afin d’y réaliser un appartement supplémentaire qu’il destine à son fils.

Le village de Sully1 a trop de terrain constructible. Il fait partie des communes qui doivent impérativement réviser leur plan général d’affectation (PGA) en raison du surdimensionnement de leurs zones à bâtir. Selon le Service cantonal du développement territorial (SDT), cent soixante-neuf communes se trouvaient dans cette situation en juillet 2017.

Pour Jean-François, tout a commencé il y a quelques mois lorsqu’il a reçu l’opposition du SDT à la mise à l’enquête publique de la future villa de sa fille sur la parcelle en périphérie du village. On lui indiquait aussi que si la municipalité  délivrait le permis de construire malgré cette opposition, la parcelle serait colloquée en zone réservée, soit interdite à la construction. Cette mesure est prévue par la loi cantonale sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATC). L’Etat ou une commune peut établir une telle zone, à titre provisoire, pour une durée de cinq ans pouvant être prolongée de trois ans au maximum lorsque la sauvegarde des buts et des principes régissant l’aménagement du territoire l’exige. En l’occurrence, pour assurer le redimensionnement de la zone à bâtir de Sully.

Si Jean-François peut comprendre, dans une certaine mesure, que sa parcelle en périphérie du village puisse faire l’objet d’un dézonage ultérieur, dans le cadre de la révision du plan général d’affectation, il a en revanche plus de peine à comprendre la toute récente décision du Conseil communal de geler l’intégralité des zones à bâtir de la Commune. Le législatif communal a en effet ordonné à la Municipalité d’établir une telle zone réservée.

Cette zone réservée touche non seulement les parcelles qui ne sont pas encore bâties, mais aussi celles qui le sont déjà. La maison de Jean-François, au centre du village, est une ancienne ferme qui peut être transformée pour y aménager des surfaces habitables supplémentaires. Dans son projet, il n’y aurait aucune extension de la surface bâtie au sol. La création d’un nouvel appartement dans le volume existant ne participerait pas au mitage du territoire.

Là aussi, tout sera bloqué pour une durée de cinq ans pouvant être prolongée de trois ans et Jean-François ne se fait aucune illusion sur la décision du Conseil communal qui va certainement approuver cette zone réservée actuellement à l’enquête publique.

Il y a quelques jours, au carnotzet communal, Jean-François a rencontré le syndic. Ils se sont pleuré dans le gilet car le syndic souhaitait aussi transformer sa maison au village. Pour savoir ce qui se tramait sur le plan cantonal, ils ont décidé de rencontrer le «député-maire» de la commune voisine. Il fait partie de la commission du Grand Conseil qui discute actuellement de la révision de la loi cantonale sur l’aménagement du territoire.

Les informations qu’ils ont obtenues n’ont rien de réconfortant. La révision de la LATC est laborieuse. Les tensions et divergences sont importantes entre les tenants d’une ligne dure et stricte et ceux qui souhaitent une application raisonnable du droit fédéral.

Pourtant, l’article 75 de la Constitution fédérale prévoit que la Confédération fixe les principes applicables à l’aménagement du territoire, mais que cet aménagement incombe aux cantons. Or, au fil des diverses révisions de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT), cette compétence s’est «fédéralisée». C’est précisément à l’occasion de la dernière révision de cette loi, approuvée finalement par le peuple en 2013, que le 2e alinéa de l’article 15 impose aux cantons de réduire les zones à bâtir surdimensionnées.

En application de cette injonction, le Grand Conseil a adopté en 2017 la 4e révision du Plan directeur cantonal (PDCn). Le Conseil fédéral a validé ce document de plus de 400 pages le 31 janvier 2018 avec toute une série de remarques, commentaires et fermes recommandations comme l’a souligné le Ronchon2.

Le «député-maire» profite de la rencontre pour rappeler à ses interlocuteurs que la mesure A11 du PDCn oblige les communes à mettre leurs planifications en conformité et à les soumettre à l’approbation du Canton au plus tard le 20 juin 2022.

De retour à Sully, nos deux compères se retrouvent au carnotzet, celui de Jean-François, cette fois. Le syndic est dépité. S’il accepte finalement avec un certain soulagement la décision de placer tout le territoire communal en zone réservée pour permettre une réflexion plus sereine et assurer une certaine égalité de traitement entre tous les citoyens propriétaires, il se demande bien comment il va pouvoir, ces prochaines années, supprimer ces zones à bâtir prétendument surdimensionnées.

La parcelle de Jean-François en périphérie du village passera certainement à la trappe et la zone villas se transformera en zone viticole.

Jean-François sait aussi qu’il ne doit pas se faire d’illusion s’agissant d’une éventuelle indemnisation pour ce dézonage. Il se battra mais son espoir d’obtenir quelque chose est maigre car un de ses amis avocat lui a expliqué la jurisprudence très stricte en matière d’expropriation matérielle.

Ce qui inquiète beaucoup le syndic, c’est le centre du village, déjà densément construit. Compte tenu du surdimensionnement important de la commune, il faudrait théoriquement interdire les transformations de bâtiments qui pourraient accueillir des habitants supplémentaires dans les volumes existants. Il ne voit pas de solution à ce problème et les contacts qu’il a pu avoir avec les aménagistes du SDT le laissent perplexe.

Avant de se quitter à la sortie du carnotzet, Jean-François et le syndic philosophent sur les effets pervers de «l’amour des lois», cher aux Vaudois. La modification de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire entrée en vigueur en mai 2014 est destinée à éviter une extension des zones à bâtir et le mitage du territoire. Elle n’a pas pour objectif, et c’est même le contraire, d’interdire l’utilisation plus efficiente des bâtiments existants et des parcelles au milieu des villages. Il leur semble que le SDT a choisi une procédure qui va largement au-delà de ce qu’exige la Confédération.

Il faudra préparer sans tarder une 5e révision du Plan directeur cantonal. Le syndic va en parler demain au «député-maire». Mais un doute subsiste: finalement, est-ce que le Grand Conseil a quelque influence que ce soit sur le SDT?

Notes:

1  Nom fictif.

2  La Nation no 2092 du 16 mars 2018.

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