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La peste soit des pesticides!

Jean-Michel Henny
La Nation n° 2116 15 février 2019

Naguère, les pesticides étaient des substances utilisées pour lutter contre les organismes considérés comme nuisibles. Aujourd’hui, ce sont des produits à proscrire, surtout dans le secteur agricole.

Il y a bien sûr les insecticides, mais aussi les fongicides et les herbicides. Ces derniers, que l’on utilisait abondamment pour lutter contre les adventices, aussi appelées mauvaises herbes, ont connu leur heure de gloire et d’efficacité tant auprès des agriculteurs que dans les jardins familiaux ou les bords de routes et les parcs publics. C’est un chimiste suisse, dans les années 50, qui a inventé une molécule qui a rapporté gros à la société Monsanto, le glyphosate. Ce produit est maintenant le diable porteur de tous les maux, à tel point que le nom de Monsanto, qui lui est associé, va vraisemblablement disparaître.

Pendant des millénaires, l’homme a dû lutter contre la nature, pour survivre et se nourrir. Aujourd’hui, c’est la nature qu’il faut défendre. Elle s’étiole. La biodiversité diminue. Tout ce qui la menace doit être combattu. La production agricole intensive doit être abandonnée et les techniques culturales adoucies. C’est une révolution et comme toujours dans ces situations, tout va trop vite. L’homme est impatient alors que la nature va à son rythme.

Le consommateur qui en a les moyens, en particulier dans «l’îlot de cherté» helvétique, aspire à consommer des produits naturels, exempts de pesticides, si possible issus de la culture biologique et qu’il peut se procurer dans des circuits commerciaux courts.

Les paiements directs, qui permettent à nos paysans de survivre économiquement malgré des prix de vente de leurs produits très bas, posent des exigences sévères en matière d’utilisation de produits phytosanitaires et d’épandage d’engrais de ferme (fumier et lisier).

En 2017, le Conseil fédéral a publié un Plan d’action visant à la réduction des risques et à l’utilisation durable des produits phytosanitaires. Les auteurs des initiatives dont nous parlons ci-dessous n’en ont certainement pas eu connaissance. Ils n’ont pas eu envie non plus de lire le projet de politique agricole pour les années prochaines (PA22+). Il prévoit de nouvelles restrictions d’utilisation de ces produits, ainsi que la réduction des possibilités d’épandage d’engrais de ferme.

Les agriculteurs eux-mêmes et leurs organisations professionnelles enchaînent les formations, les réflexions et les recherches pour diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires. Mais ce n’est pas facile. Certaines années et suivant les conditions météorologiques, si la vigne ne bénéficie pas de plusieurs traitements avec des fongicides, la récolte est perdue à cause du mildiou et de l’oïdium. Il en va de même pour les pommes de terre. Les céréaliculteurs et les producteurs de betteraves à sucre sont sous la menace permanente d’autres fléaux. Et les animaux aussi, s’ils ne peuvent bénéficier de certains traitements aux antibiotiques, sont condamnés.

Cependant, ces efforts, encouragés par les paiements directs, mais en grande partie librement consentis, portent leurs fruits. La consommation de produits phytosanitaires en Suisse a diminué, pour certains d’entre eux, de près de 40% en 10 ans. Les paysans aiment à dire: «nous protégeons ce que nous aimons». Ils vont d’ailleurs, dans le courant de cette année 2019, mener une campagne pour montrer ce qui se passe si on n’utilise pas de produits phytosanitaires. Certains d’entre eux laisseront une partie de leurs champs sans aucun traitement, qu’il s’agisse d’insecticides, d’herbicides ou de fongicides, pour que chacun puisse constater à quoi servent ces produits.

On peut donc sérieusement se demander à quoi vont servir les trois initiatives populaires fédérales qui ont été déposées en 2018.

La première, déposée par un comité de sept femmes et un homme domiciliés entre Berne et Winterthur, sera discutée par les Chambres fédérales cette année. Le Conseil fédéral vient de leur adresser son message1. Elle s’intitule «Pour une eau potable propre et une alimentation saine – Pas de subventions pour l’utilisation de pesticides et l’utilisation d’antibiotiques à titre prophylactique». Elle demande que les paiements directs ne soient plus versés aux paysans qui continuent à utiliser des pesticides, à ceux qui doivent acheter des fourrages hors de leur exploitation et à ceux qui utilisent des antibiotiques pour soigner leurs animaux à titre prophylactique ou dont le système de production requiert l’administration régulière d’antibiotiques. Les producteurs auraient un délai de huit ans pour se conformer à ces règles.

La deuxième, dont le comité est exclusivement masculin et neuchâtelois, à l’exception d’un habitant de Cudrefin, est intitulée «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse». Elle exige que l’utilisation de pesticides de synthèse dans la production agricole, la transformation des produits agricoles et l’entretien du territoire soit interdite, l’importation à des fins commerciales de denrées alimentaires contenant des pesticides de synthèse ou pour la production desquelles des pesticides de synthèse ont été utilisés étant aussi interdite. Le délai serait ici de dix ans. Certains des initiants, vignerons bio, oublient de rappeler que les produits de synthèse leur sont interdits mais qu’ils peuvent user presque sans limites du cuivre et du soufre (bouillie bordelaise), produits «naturels».

La troisième, dont le comité est composé d’habitants de Bâle, Zurich, Lucerne et environs, avec une exception à Vevey, est intitulée «Non à l’élevage intensif en Suisse». Elle exige que la Confédération protège la dignité de l’animal. Celui-ci ne doit pas faire l’objet d’un élevage intensif, qui est défini comme l’élevage industriel visant à rendre la production de produits d’origine animale la plus efficace possible et portant systématiquement atteinte au bien-être des animaux. La Confédération doit fixer une taille maximale de groupes d’animaux par étable et doit aussi édicter des dispositions sur l’importation d’animaux et de viande qui ne doivent pas avoir été soumis à un élevage intensif.

Ce qui caractérise ces trois initiatives, c’est leur méconnaissance du terrain, leur ignorance des nécessités liées à la culture du sol, à la production d’aliments et à la garde des animaux. Prétendre pouvoir interdire l’importation d’aliments traités avec des pesticides de synthèse ou de viande obtenue dans des élevages intensifs, c’est soit ignorer la réalité, soit vouloir affamer le peuple, puisque la moitié des calories que nous consommons viennent de l’étranger.

Après la Seconde guerre mondiale, dans l’euphorie des Trente Glorieuses, l’avènement du machinisme agricole et l’apparition de produits nouveaux et efficaces, les agriculteurs ont profité de l’envolée des rendements et de la garantie de prix et de prise en charge par la Confédération. Ils ne se sont pas préoccupés de la pollution et des effets pervers que pouvait générer l’utilisation excessive de certains produits. Mais le terme de pollution ne faisait même pas partie du langage courant.

Cette période est révolue. On peut même affirmer que la quasi-totalité de nos agriculteurs prêtent aujourd’hui une attention soutenue à la préservation de la qualité de leurs sols et, partant, à celle des produits qu’ils en tirent. D’ailleurs, les consommateurs qui sont prêts à payer un prix supérieur pour de bons produits, ainsi que les incitations des paiements directs, tout comme les résultats des recherches agronomiques, les poussent dans cette direction.

Les initiatives excessives sur lesquelles nous devrons bientôt nous pencher arriveront à la fois comme grêle après vendange et comme un nouveau fléau menaçant des cultures sans protection aucune. D’ailleurs, les initiants seraient-ils prêts à renoncer, pour eux et leurs proches, à l’utilisation des médicaments, des antibiotiques, des insecticides, des produits désinfectants, bref de tout ce qui pollue? Ces démarches constitutionnelles fustigent l’agriculture, désignée comme seule responsable de la pollution de l’eau et de la terre, alors que tous les habitants de ce pays y participent.

La peste soit de ces initiatives!

Notes:

1  Feuille fédérale 2019 p. 1093 à 1115.

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