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Occident express 24

David Laufer
La Nation n° 2116 15 février 2019

Une pluie vétérotestamentaire s’abattait sur mon quartier. J’observais avec inquiétude les eaux brunâtres investir, d’abord la cour intérieure de mon immeuble, puis le vestibule. La cave et les installations de chauffage étaient donc menacées. En bon propriétaire helvétique, je me suis muni de bottes, d’un imperméable et de quelques outils de fortune. Pataugeant dans ce petit lac, je cherchais frénétiquement les bouches d’égoût bloquées par les feuilles mortes (que personne ne balaie). Les fenêtres se sont alors lentement ouvertes. On m’observait avec attention. Ce Suisse, que pouvait-il bien fomenter? Et puis petit à petit, d’autres m’ont rejoint. Ensemble, sans un mot – le déluge était assourdissant – nous avons tâtonné, touillé, désembourbé, balayé, jusqu’à ce que les eaux disparaissent enfin dans un tourbillon brun-vert. Nous nous sommes enfin salués, fiers et satisfaits d’avoir vaincu la menace. Or l’un de mes frères d’armes se trouvait également être un aigrefin de la pire espèce. Depuis des années, sans cesser de menacer physiquement les copropriétaires qui l’en empêcheraient, il loue les places de parc de l’immeuble à des tiers pour son profit personnel. A quelques reprises nous avions même échangé les propos de rigueur, où il était question de ma mère, de la sienne et des divers outrages qui leur étaient promis. Mais après notre petite collaboration sous la pluie, il s’est métamorphosé. D’ennemi, il est devenu mon défenseur. Il me salue désormais poliment et se fait un point d’honneur de me laisser toujours une place libre au parking. En Serbie, on ne compte plus sur l’Etat, les institutions sont aux abonnés absents. Contre ce profiteur brutal, l’autorité publique était inefficace. Il fallait établir d’abord un vrai contact, puis convenir, tacitement, d’un marché acceptable. Ainsi une main tendue et quelques mots, c’est-à-dire un contact humain, ont plus de pouvoir ici qu’un document ou qu’une loi, dont on connaît la volatilité. Lorsque l’on sait jouer de ces règles non-écrites et qu’on les accepte, on découvre alors une liberté et une sécurité que toutes les lois et toutes les institutions du monde sont incapables de fournir.

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