Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Commentaire sur les commentaires

Lionel Hort
La Nation n° 2117 1er mars 2019

Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles (Umberto Eco).

Les réseaux sociaux permettent à tout un chacun de commenter et de partager les contenus (articles, images, vidéos, etc.) qui y sont diffusés. Le fait que n’importe quel utilisateur puisse exprimer un avis, parfois anonymement, et ce qu’il soit professeur de physique ou interné dans un hôpital psychiatrique, amène naturellement son lot de commentaires vulgaires ou à côté de la plaque.

Le plus pénible est sans doute le «commentaire scientiste», fait d’experts autoproclamés. Ceux-ci prétendent fonder leur connaissance sur la Raison et la Science et rejettent toute affirmation «non scientifique» comme fausse et dénuée d’intérêt.

Ces experts reprocheront par exemple à un article tentant de synthétiser un événement de l’actualité – par exemple l’affaire des Gilets jaunes – de ne pas avoir les caractéristiques d’une «étude sociologique de terrain» et de n’être basé que sur de «simples croyances» ou de «vagues impressions».

Une «étude sociologique de terrain» n’est pourtant pas plus à l’abri de dérives subjectives ou méthodologiques qu’une tribune médiatique, notamment si ses auteurs sont des sociologues ou des journalistes d’Etat, et si son objet est la classe sociale méprisée du petit peuple des provinces françaises. La révolte des Gilets jaunes est un phénomène complexe et encore en déploiement, objet d’innombrables tentatives de récupérations politiques et médiatiques. Il est osé de prétendre connaître les motivations précises du mouvement (si tant est qu’elles existent), et l’on sera tenté d’appliquer son filtre idéologique personnel pour en juger.

A l’heure de la reconfiguration du clivage gauche-droite et de l’éclatement médiatique, le sociologue d’un pays aussi fracturé que la France est moins à même de juger en vérité – c’est-à-dire de manière strictement scientifique – que l’historien. Ce dernier seul aura le recul nécessaire pour saisir l’ampleur générale du mouvement, une fois l’élan de celui-ci épuisé.

Cela ne signifie évidement pas que l’on ne peut rien dire de pertinent ou de juste sur la révolte des Gilets jaunes. Par exemple, on peut l’analyser sous l’angle du symptôme de la déliquescence de la nation française, encore marquée par les conflits sociaux datant de la Révolution. On peut de même en rappeler les éléments factuels, et l’analyser sous l’angle de l’actualité politique – analyse qui ne prétendra pas à la vérité absolue, mais qui cherchera alors à donner de la hauteur de vue, à dégager les éléments importants et les enjeux du phénomène. Ce genre d’opinions aura alors la nature d’un jugement de valeur. Celui-ci sera d’autant plus valide qu’il sera argumenté, reposera sur une bonne doctrine et sur l’expérience, l’intelligence et la culture de son auteur.

Rappelons finalement que subjectif ne signifie pas arbitraire. L’honnêteté intellectuelle exige que l’on assume son point de vue. Cela permet en général au lecteur de discriminer les opinions fondées sur des passions, une idéologie ou une doctrine politique établie. Un interlocuteur qui fait preuve de cette humilité, découlant de la reconnaissance de la finitude humaine en l’orbe du savoir également, tendra plus naturellement vers la vérité que n’importe quelle étude sociologique. Réductrice de par sa méthodologie dans l’appréhension de la réalité1, celle-ci sera potentiellement biaisée par des préjugés idéologiques dissimulés sous sa prétention à l’objectivité scientifique.

Notes:

1    Par exemple, une étude est réalisée entièrement par écrit, à l’aide d’une liste de questions fixées, soumises à un nombre restreint de personnes. On perçoit en général l’intention de l’auteur à la lecture des questions.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: