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Occident express 37

David Laufer
La Nation n° 2129 16 août 2019

Lorsqu’on vient de Belgrade – pas besoin d’y être né, il suffit d’y vivre – et qu’on visite la Croatie, il est impossible de ne pas être toujours un peu sur ses gardes. Dans les guerres des années nonante Zagreb n’est pas en odeur de sainteté, mais enfin la guerre a eu lieu sur sol croate, dirigée par Belgrade. Pourtant, le différend qui oppose les Serbes et les Croates est ancien mais pas éternel. Au XIXe siècle, les frères slaves, aujourd’hui ennemis, faisaient alors cause commune contre les Habsbourg et le Sultan, dont les empires maintenaient les Balkans dans un sous-développement chronique. L’union des slaves du Sud était encore une utopie défensive, culturelle et sociale. Elle est en cela semblable au sionisme, imaginé à la même époque par Théodore Herzel, un Juif de Zemun, banlieue autrichienne de Belgrade. Les conflits du XXe siècle, le déséquilibre des peuples – 11 millions de Serbes contre 4 millions de Croates – et les jeux des grandes puissances ont provoqué les guerres, cimenté les haines et rendu tout à fait impossible la perspective d’une réunion, même sur le long terme. Ce qui peut étonner de prime abord, lorsqu’on prend conscience qu’il y a moins de différence entre un Croate et un Serbe qu’entre un Valaisan et un Genevois, entre un Breton et un Alsacien, un Piémontais et un Napolitain. Même langue, même gastronomie, mêmes caractéristiques physiques, tout les rassemble. Sauf la confession. Les Ottomans ont importé dans ces contrées la notion de nationalité déterminée par la religion. Etre serbe, c’est être orthodoxe. Etre croate, c’est être catholique. L’autre soir, dans sa cave en pierre, notre voisin sur l’île de Hvar nous racontait comment se déroulait carnaval autrefois, dans les années cinquante, lorsqu’il était petit. Mon épouse, serbe, ne comprenait pas. Lui se frappe le front: «Vous ne fêtez donc pas carnaval? Ah oui, évidemment...» Ce rappel des différences profondes qui justifient que cette île, désormais, appartienne à un autre Etat, tout cela revenait soudain sur le devant. Notre soirée s’est très bien terminée, nous restons amis comme jamais. Sur le continent toutefois, à Split, à Zadar ou à Zagreb, c’est une autre affaire. Les incidents continuent d’émailler la chronique. Les gouvernants, de part et d’autre, aiment jeter de l’huile sur le feu pour marquer des points et rallier leurs troupes. Heureusement, les insulaires se moquent bien de tout cela. Leur capitale de Zagreb est aussi lointaine que Belgrade. Ces histoires de continentaux, ça ne les intéresse pas beaucoup. «Vous venez de Belgrade», nous demandait un vieux serveur, «près du parc et de l’église Saint-Marc? Ah, c’est là que j’ai embrassé ma femme pour la première fois.»

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