De la pureté au métissage, et retour
Nos lecteurs se souviennent peut-être qu’il y a trente ans un certain Jean-Paul Goude mettait en scène le défilé du bicentenaire de la Révolution française. Blacks, Blancs, Beurs, tirailleurs sénégalais et valseuses maghrébines y célébraient une ode aux sociétés métissées.
M. Goude, âgé de 78 ans, est né d’une mère américaine et d’un père français. Selon ses propres termes, il a toujours été du côté de ceux qui défendent le métissage. Il s’est senti plus attiré par d’autres cultures que par la sienne. Il était plus proche des Noirs que des Blancs, aimanté par le rythme noir, la danse, la transe. Adolescent de petite taille, il aimait à sortir avec de grandes filles africaines, pour épater ses copains.
Dans le Monde du 1er novembre 2019, Jean-Paul Goude ne peut que regretter les années septante du siècle dernier. Seule l’équipe de rugby d’Afrique du Sud, championne du monde, se vante encore de compter en son sein des joueurs blancs et des joueurs noirs.
Selon Goude, l’utopie du métissage est morte. Elle heurte les revendications identitaires noires, amérindiennes, féministes et homosexuelles. La guerre des racisés contre l’appropriation culturelle et pour le décolonialisme était inconnue en 1989, de même que les cultural studies. L’obsession de l’origine a supplanté le joyeux mélange. La volonté de pureté revient. C’est un cauchemar pour Goude et d’autres adeptes de l’enrichissement multiculturel. Le metteur en scène Robert Lepage a dû annuler un spectacle qui revisitait l’histoire du Canada parce qu’il n’ y avait impliqué aucun acteur amérindien. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a failli manquer sa réélection à cause d’un blackface1 commis dans sa jeunesse. Nombre d’œuvres jugées naguère antiracistes passent aujourd’hui pour racistes. Goude lui-même a décliné une offre d’exposition parce qu’il lui aurait fallu retirer trop d’œuvres importantes. En 1978, la compagne de Goude, Grace Jones, chanteuse de disco noire androgyne, icône gay sculpturale, adorait poser en bête sauvage. Goude, désirant capter l’attention d’un public new yorkais avide de provocations, grima la dame en tigresse. Elle marchait à quatre pattes autour d’une cage où se trouvait un vrai tigre. Soudain la lumière s’éteignait puis se rallumait. Le vrai tigre avait disparu. Grace avait pris sa place dans la cage, en train de mâcher un bout de viande factice. Goude affirme que ce n’était pas du meilleur goût, qu’on était loin de Shakespeare, mais que c’était efficace. Aujourd’hui l’artiste serait la proie des animalistes, des féministes, des véganes et de la communauté noire. La censure étatique du passé lui semble moins rude que les condamnations prononcées sur les réseaux sociaux par les minoritaires opprimés. Récemment, Goude a photographié la chanteuse Lady Gaga en course pour l’Oscar de la meilleure actrice. Il lui a blanchi le visage et l’a vêtue d’un costume en paille. Il a ensuite renoncé parce qu’on l’accuserait de s’approprier le théâtre nô japonais et que la paille serait interprétée comme citation africaine.
Parfois, il a tenté de détourner les clichés de l’exotisme par une dose d’ironie: il a aggravé son cas. Il se cantonne désormais au premier degré, évite l’ambiguïté et la subtilité. Ses créations lui semblent creuses et débordantes de bons sentiments.
Nous tirons deux leçons de ces anecdotes.
Les idéaux extrémistes portés par l’esprit de système alternent, entrecoupés par de brefs intermèdes raisonnables. La recherche de la pureté cède le pas au mélangisme – idéologie, soit dit en passant, elle-même raciste quand ses laudateurs veulent nous persuader que métis et mulâtres sont supérieurs aux dégénérés produits par le purisme sclérosant. Puis le concept de fierté raciale refait surface par l’intermédiaire des prides (fierté, en anglais): black pride, gay pride, etc. L’entre-soi est préféré au vivre ensemble.
Goude dit que certains Noirs veulent faire payer le colonialisme aux Blancs. Ceux-ci sont responsables des maux ayant frappé les Noirs. Il faut se séparer d’eux, voire les éliminer. C’est la mode des boucs-émissaires. Pour les écologistes, Trump, flanqué de sa clique d’idiots climato-sceptiques et de capitalistes libertariens, devient l’homme à abattre si l’on veut sauver la planète.
Idéalisme identitaire accouplé à la recherche de boucs-émissaires: les générations successives n’apprennent rien de l’histoire.
Notes:
1 Pratique consistant pour un Blanc à se grimer en Noir, ressentie de nos jours comme raciste.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Uluru – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Présence des rois d’il y a 1000 ans – Bertil Galland
- Histoire vaudoise, un survol – Yves Gerhard
- Hommage à Jacques Bainville – Jacques Perrin
- Dix ans – Jacques Perrin
- Et de trois! – Daniel Laufer
- Sur les décombres du Mur – Jean-François Cavin
- Occident express 44 – David Laufer
- Alma intrepida – Jean-Blaise Rochat