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Sur les décombres du Mur

Jean-François Cavin
La Nation n° 2136 22 novembre 2019

Le trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin suggère quelques réflexions sur le cours de l’histoire et sur les lois de la politique. Tentons de bâtir trois hypothèses sur les décombres du communisme.

L’événement du 9 novembre 1989 était-il prévisible ou non? L’histoire obéit-elle à un certain déterminisme ou est-elle le résultat de circonstances tellement nombreuses et variées que mieux vaut parler du hasard? Il me souvient d’une rencontre, au milieu des années huitante, où des personnes d’expérience, au fait des affaires du monde et d’esprit réaliste, s’interrogeaient sur l’avenir de l’URSS. On savait qu’elle était exsangue, ayant consumé ses ressources dans l’effort militaire et le soutien aux régimes communistes épars dans la planète; négligé son agriculture au nom de la collectivisation du sol et en vertu d’une planification technocratique aveugle, si bien qu’elle n’évitait la famine que grâce à l’importation massive de blé américain; ignoré le réveil de ses peuples qu’Hélène Carrère d’Encausse décrivait en annonçant l’implosion de l’empire soviétique. Tous les participants à cette rencontre opinaient donc dans le même sens: l’Union soviétique va s’effondrer; mais personne ne s’aventurait à dire quand! Dans un an? Dans dix ans? Que va faire Gorbatchev? Tiendra-t-il, d’ailleurs? L’influence d’un homme a-t-elle de l’importance?

On pourrait en tirer la leçon que l’histoire présente des tendances lourdes qui annoncent le sens général de son déroulement avec une forte probabilité; mais que le calendrier, les modalités, certaines conséquences du changement pressenti sont imprévisibles.

On a, il y a trente ans, trop vite confondu les Soviets et la Russie. Les premiers disparaissaient... mais la Russie éternelle? Certains ont prévu à la légère l’effondrement de cet Etat, ou sa diminution à un niveau de faiblesse tel qu’on pouvait désormais l’ignorer. Ce fut notamment le cas de l’Union européenne, toujours orientée vers son extension en dépit de ses propres insuffisances et multipliant les provocations en Ukraine, ainsi qu’en Géorgie dans une moindre mesure. Or après le flottement de la période transitoire où le pouvoir, sous un Eltsine impuissant, s’est dépecé au profit des oligarques, la reprise en main opérée par Poutine a rapidement ramené la Russie à son rang de puissance majeure. Elle n’est certes plus dans le duo de tête, remplacée par la Chine face aux USA. Mais, forte de son immensité territoriale, de la richesse de son sous-sol, de sa capacité militaire en bonne partie reconstituée, elle est au deuxième rang; elle est mieux positionnée que les USA pour mener le jeu au Proche-Orient, et peut-être dans l’Arctique.

La deuxième leçon serait donc qu’il ne faut pas confondre les pays et les Etats, dotés de leurs caractéristiques naturelles et riches de leurs héritages historiques séculaires ou millénaires, avec les régimes politiques qui les dirigent peut-être passagèrement.

Quant à l’idéologie, la chute de l’URSS a entraîné le déclin de l’illusion communiste. Le triomphe de la pensée et de la pratique libérales, en politique comme en économie, semblait assuré. Mais rien n’est simple. En matière économique, ce n’est pas seulement la libre entreprise, inventive, créatrice, souple et responsable, qui a affirmé sa force, mais aussi la mondialisation financière, dont les algorithmes prétentieux ont montré la vanité à travers diverses crises douloureuses; finalement, une finance fondée sur le froid calcul des probabilités n’est pas beaucoup plus humaine que la tyrannie marxiste; reconnaissons toutefois qu’elle tue et emprisonne moins. En politique, nul ne peut plus se réclamer du communisme léniniste et stalinien; mais de nouveaux totalitarismes sont apparus, tel celui de l’islamisme dit radical; et de nombreux pays subissent la loi de régimes dictatoriaux, parfois corrompus, soit parce qu’ils sont trop neufs pour adopter et consolider une organisation plus équilibrée mais plus complexe (on pense ici particulièrement à l’Afrique), soit parce qu’ils sont trop grands pour espérer tenir sans le ciment d’un pouvoir central tout-puissant; on pense là à la Russie, justement, et à la Chine. Celle-ci fait mine de cultiver le communisme au cinéma du parti unique; mais elle s’en est éloignée économiquement depuis la privatisation partielle initiée par Deng voilà maintenant quarante ans; le président Xi donne aujourd’hui des leçons de libre-échange aux Américains lorsqu’il débarque à Davos; la mutation idéologique s’est opérée non sans douleur, mais sans fracture ouverte parce que les mandarins de Pékin sont moins passionnés et plus rusés que les apparatchiks de Moscou. Reste que le président Xi détient tous les leviers de commande et tient le pays d’une main de fer: on est loin de la séparation des pouvoirs et de la tolérance libérale.

La troisième leçon serait alors: ne remplaçons pas dans l’abstrait une idéologie (marxiste) par une autre (libérale); il n’y a de bonne politique qu’en adéquation à la réalité de nations profondément diverses.

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