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Occident express 44

David Laufer
La Nation n° 2136 22 novembre 2019

Il y a trente ans, planqué sous mes draps d’internat, j’écoutais ma petite radio tard dans la soirée et j’ai soudain éructé à mes cinq camarades de chambrée: «Le Mur de Berlin est tombé!» C’était la fin du monde dans lequel j’avais grandi, dans lequel la moitié de mon continent était hors d’atteinte, retranché au-delà d’une barrière militaire et idéologique. J’ignorais presque entièrement ce que les gens pensaient de l’autre côté de ce mur – ils étaient simplement communistes. Ce 9 novembre 89 la télé nous diffusait des images irréelles de familles réunies dans des fontaines de larmes, de petits vieux égarés dans des pardessus mités avec de grosses lunettes et des chapeaux de feutre. On les sentait mi-extatiques, mi-désemparés. Qu’il ne s’agisse là qu’une des énièmes tentatives de cette partie de l’Europe de s’émanciper d’un empire, successivement russe ou allemand, ne nous effleurait pas. Que beaucoup, parmi ces millions de gens, se déclarassent d’emblée passablement effrayés face à l’avenir nous semblait ridicule. En novembre 2019, de Belgrade en passant par Cracovie ou Bucarest, le niveau de vie reste très largement inférieur à celui de l’Europe du nord-ouest, la politique est un sport extrême et les missi dominici de Bruxelles répètent leur catéchisme libéral-démocratique à une assemblée de plus en plus circonspecte, voire hostile. Car ayant à peine sorti la tête de l’eau, l’Europe de l’Est s’y est immédiatement fait replonger pour devenir l’atelier de l’Europe, de l’Allemagne essentiellement, une dépendance accrue par la monnaie unique. Ainsi maintenue dans une dépendance économique presque complète, tenue de mener des réformes radicales au pas de charge, cette moitié de l’Europe se retrouve aujourd’hui, en réalité, soumise à un empire d’une autre forme et à peu près dénuée de toute souveraineté nationale – qui était pourtant l’enjeu principal en 1989. On ne s’étonne pas d’y voir fleurir des mouvements souverainistes et protectionnistes, souvent teintés de religion. A Belgrade qui, comme ses voisines, poursuit sans cesse, et sans succès de longue durée, une politique d’émancipation nationale depuis plus d’un siècle et demi, les hésitations et les trahisons bruxelloises ont eu raison de tout idéal européen dans la population. On ouvre une usine allemande de sous-traitance après l’autre, on sabre le service public, on voit partir les jeunes et on ne sait absolument plus quoi croire ou à quoi rêver. Il n’empêche. A voir le marasme du Brexit, donc de l’UE, l’atonie économique italienne, française et espagnole et la fin de la croissance allemande, on ne peut s’empêcher d’observer que, même retardé, même faible, l’avenir, en Europe, est peut-être plus de ce côté du Danube que de l’autre.

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