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Loi antiterroriste: NON à la centralisation

Edouard Hediger et Félicien Monnier
La Nation n° 2163 4 décembre 2020

Un terroriste vaudois

Le 12 septembre dernier, un islamiste turco-suisse de 26 ans assassine un Portugais dans un kebab de Morges. Vengeance pour le prophète, voie publique, choix aléatoire de la victime, le motif terroriste ne fait aucun doute. Radicalisé de longue date, Omer A. faisait l’objet d’une surveillance rapprochée. Les signaux se multipliaient depuis 2017. Décrochage scolaire, échanges de propagande islamiste avec des radicalisés notoires ou prise de contact avec des voyageurs du djihad ont fait apparaître le terroriste sur les radars des services de renseignements vaudois et fédéraux. Il se fait plus discret suite à l’ouverture par le Ministère public de la Confédération (MPC) d’une série de procédures pénales contre la nébuleuse qu’il fréquente. Néanmoins, il reste sur une liste prioritaire et fait l’objet d’un suivi rapproché. Il disparaît brièvement, puis revient en Suisse après un départ avorté en Syrie.

Le 14 avril 2019, il tente de bouter le feu à une station-service de Prilly; s’ensuit une mise en détention provisoire. A la suite d’une expertise psychiatrique concluant à une instabilité psychologique, il est remis en liberté en juillet 2020 sur demande du MPC, faute de base légale suffisante pour le garder en détention et malgré un comportement en prison signalant son allégeance à l’Etat islamique. Considéré comme dangereux, il fait à nouveau l’objet d’un suivi policier et psychiatrique, mais ne respecte pas ses obligations probatoires, échappant au filet mis en place par les autorités.

Le cas d’Omer A. est un cas d’école. L’escalade fatale n’a pu être évitée. Les bases légales propres à assurer une emprise plus importante sur ce genre d’individus font défaut, en particulier avant que les autorités pénales ne puissent intervenir au titre de la détention provisoire (immédiatement après la commission d’une infraction) ou de la révocation de la liberté conditionnelle (en fin de peine).

Un projet de loi fédérale

La nucléarisation de la menace et un mode d’action low cost avec des moyens quasiment nuls rendent la défense contre ce genre d’attaques ardue. Les Chambres fédérales ont jugé qu’une évolution législative était nécessaire.

Adopté fin novembre 2017, le Plan d’action national de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent a fourni un premier élément de réponse. Il comprend des mesures de prévention et de réintégration. Une révision partielle du code pénal doit pour sa part renforcer l’arsenal des mesures de droit pénal.

Entérinée par le Parlement lors de sa session d’automne, la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) est le troisième volet du projet. Elle cherche à renforcer le dispositif pour empêcher le passage à l’acte de certains individus. Les mesures seraient applicables avant une procédure pénale, après l’exécution de la peine et, exceptionnellement, en cours de procédure. Elles viseraient principalement à éloigner de l’environnement terroriste et empêcher les départs dans une zone de conflit au moyen d’obligation de participer à des entretiens, d’interdiction de contact, d’interdiction de quitter le territoire, d’obligation de se présenter, d’une interdiction géographique, voire finalement d’une assignation à résidence. Le respect de ces mesures pourrait être contrôlé par surveillance électronique ou géolocalisation. Les mesures pourraient être combinées, mais demeureraient limitées à six mois renouvelables une fois. Elle s’appliqueraient dès l’âge de 12 ans. Par rapport au projet initial et malgré les réserves de l’ONU, d’ONG, des Verts et du PS quant au respect des droits fondamentaux, de la proportionnalité et des exigences de l’Etat de droit, le Parlement a suivi une ligne assez dure. La seule proposition n’ayant pas été retenue concernait la prolongation de la détention provisoire, à l’image de ce que fait la France.

La compétence d’ordonner ces mesures appartiendrait à Fedpol, soit la police fédérale. Elle rendrait des décisions, soumises à la surveillance du Tribunal administratif fédéral. Il s’agit de ce que l’on appelle la «police administrative», distincte des compétences de police judiciaire des forces de l’ordre. Le Tribunal des mesures de contrainte (notamment compétent pour ordonner la détention provisoire dans le cadre d’une enquête pénale) du Canton de Berne validerait les assignations à résidence. Ces mesures seraient ordonnées à la demande des cantons ou du SRC.

Une centralisation inacceptable

Pour justifier cette centralisation, le Conseil fédéral fait un usage abusif du principe de la subsidiarité. Ce n’est pas parce que les cantons ont la possibilité de solliciter de Fedpol le prononcé d’une mesure que leurs souverainetés sont respectées. Au contraire, ce projet les viole en attribuant à la Confédération une compétence nouvelle. Cela est d’autant plus grave que la Confédération n’est en réalité pas compétente pour adopter une telle loi.

Dans le cadre de la procédure de consultation, la Faculté de droit de l’Université de Lausanne avait été extrêmement claire pour affirmer «que l’activité de la Confédération, dans ce domaine, ne repose sur aucune base constitutionnelle explicite»1. On peut certes bâtir une compétence inhérente de la Confédération pour se protéger elle-même, ce que l’UNIL avait reconnu. Elle le fait actuellement en grande partie au travers de la défense nationale (qui lui est explicitement attribuée) et des infractions pénales dites «fédérales», impliquant essentiellement les actions délictuelles contre les autorités fédérales ou leurs fonctionnaires, ou l’usage de certaines armes comme les explosifs. Cette compétence «naturelle» – notion pour la moins hasardeuse – ne saurait s’étendre aux mesures introduites par le projet de loi.

Les cantons, de leur propre chef, sont compétents pour prendre des mesures visant le maintien de la sécurité intérieure. Nul besoin d’une compétence décisionnelle de Fedpol pour lutter fermement contre la radicalisation islamiste. Le Tribunal fédéral a souvent eu l’occasion de confirmer leurs différentes institutions de garde à vue ou d’interdictions de périmètre. On peut penser à l’important dispositif anti-hooligans mis en place par concordat intercantonal. Celui-ci autorise la police à procéder à des fouilles, à ordonner des interdictions de périmètres ou des obligations de se présenter. Le projet de loi antiterroriste prévoit des mesures analogues. Récemment encore, le Canton de Vaud a instauré un régime d’expulsion immédiate du domicile familial de l’auteur de violences conjugales, prononcé sur-le-champ par la police.

Dans le contexte précis de la lutte antiterroriste, la question du niveau politique de décision est encore moins anodine. Il existe un continuum de la radicalisation au passage à l’acte. Le droit pénal est fédéral depuis 1938, c’est ainsi et il faut faire avec. De même, le MPC est compétent pour certains actes terroristes. Mais ce sont bien les cantons qui sont à l’avant-poste de la détection de la radicalisation islamiste. Les villes et les cantons sont les plus à même d’identifier les mosquées problématiques, en coordination avec le SRC et leurs propres services. Les institutions sociales, l’école, les hôpitaux relèvent des cantons et sont plus à même de déceler la radicalisation. La connaissance et la maîtrise du terrain des polices cantonales ou municipales donnent de la cohérence à leur action.

La gravité d’une menace ou son urgence ne sont pas des motifs de centralisation. En faisant entrer dans la partie une autorité administrative distante, froide et abstraite comme Fedpol, les Chambres font de la lutte contre le terrorisme une politique publique comme une autre. Alors que le terroriste est un marginal qu’il faut combattre à défaut de le rattacher à la communauté politique, il serait absurde de transférer ces compétences à Berne. En Suisse, les communautés politiques naturelles sont les cantons. Eux seuls ont la densité culturelle et sociale permettant d’identifier et maîtriser les radicalisés. En croyant attaquer la Suisse pour ses reliquats de culture chrétienne, ses institutions ou sa décadence, les terroristes s’en prennent aux Etats souverains qui la composent.

Un référendum

Le projet de loi définit les activités terroristes comme les actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique. Il serait bon que les Chambres fédérales se rappellent que l’ordre étatique de la Confédération repose sur les cantons. Cela ne sert à rien de protéger quelque chose que l’on vide, du même coup, de sa substance. La Ligue vaudoise soutiendra donc le référendum. Nos lecteurs trouveront, encartée dans cette Nation, une carte de signatures à renvoyer d’ici au 14 janvier prochain (au plus tard!) au comité référendaire.

Notes

1    Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme: prise de position de l’Université de Lausanne, du 20 mars 2018, p. 6. (https://www.admin.ch/ch/f/gg/pc/documents/2917/Mesures-policieres-de-lutte-contre-le-terrorisme_Avis.pdf)

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