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Des fondements constitutionnels douteux

Lionel Hort
La Nation n° 2163 4 décembre 2020

Le Conseil fédéral tout comme le Conseil des Etats et le Conseil national peuvent édicter des règlementations d’urgence par le biais de procédures ne respectant pas les exigences du cadre juridique et démocratique habituel. Dans le cas de la crise sanitaire, le Conseil fédéral a fait grand usage de ce droit de nécessité1. Le Parlement a quant à lui attendu juin pour reprendre du service et commencer à élaborer des lois fédérales urgentes.

Est notamment en préparation une «loi COVID-19 sur les loyers commerciaux», dont il a déjà été question dans les colonnes de La Nation2. Cette loi permettrait notamment à certains locataires de locaux commerciaux de ne s’acquitter que de 40% de leur loyer pour la période courant du 17 mars au 21 juin 2020.

Une loi fédérale urgente de ce genre peut entrer en vigueur immédiatement, c’est-à-dire dès son adoption, un éventuel référendum ne pouvant intervenir qu’après coup. Pour bénéficier de ce statut «urgent», il faut encore que la durée de validité de la loi soit limitée dans le temps, ce qui est le cas ici: elle devrait rester en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022. C’est plutôt le début de la période de validité de la loi qui pose problème. Elle devrait déployer ses effets à partir du 17 mars 2020, elle s’appliquerait alors à une période en partie révolue, en violation du principe de non-rétroactivité des lois.

La procédure d’élaboration est, quoi qu’il en soit, toujours en cours et le Conseil fédéral a rendu un Message faisant état de ses doutes quant au bien-fondé de la loi3. Il remarque notamment que, lors de la procédure de consultation, les avis défavorables l’ont emporté de peu sur les avis favorables.

Reconnaissant que le fondement juridique de cette réglementation est difficile à déterminer, il se demande sur quelle base constitutionnelle concrète faire reposer la loi. Il a retenu, après quelques hésitations, l’article 100 de la Constitution fédérale sur la politique conjoncturelle, qui permet à la Confédération d’influencer l’évolution de l’économie, sous réserve de certaines conditions liées au droit de la concurrence et à la liberté économique. Le Conseil fédéral remarque que la loi s’appliquerait indépendamment de la situation économique des parties concernées. Cela aurait pour résultat que certains locataires de locaux commerciaux – qui n’auraient pas ou pratiquement pas subi de pertes à cause des fermetures imposées par le semi-confinement – bénéficieraient eux aussi d’une réduction de loyer. De plus, il juge qu’une baisse de 60% des loyers ne représente pas une réelle violation de la garantie de la propriété privée vis-à-vis des bailleurs.

D’habitude, le Conseil fédéral n’hésite que peu sur les questions de base constitutionnelle, et ses doutes sur la constitutionalité du projet en disent long sur le crédit qu’il lui accorde. Rappelant qu’il jugeait cette réglementation par trop interventionniste dans les rapports de droit privé, il a indiqué ne pas vouloir demander au Parlement d’approuver le projet de loi. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le Conseil national a refusé la mouture actuelle de la loi, et le Conseil des Etats devrait rapidement en faire autant. Assurément, ce n’est pas la crise sanitaire qui fera baisser le régime de l’usine à gaz législative fédérale.

Notes:

1    Cf. l’article de M. Félicien Monnier intitulé «Droit d’urgence», dans La Nation n°2157.

2    Cf. l’article de M. Olivier Klunge intitulé «Ça fait un bail», dans La Nation n°2155.

3    FF 2020 8011.

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