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La défense n'est pas qu'une affaire d'avions!

Edouard Hediger
La Nation n° 2177 18 juin 2021

On ne parle que des avions. Pourtant, d'ici la fin de la décennie, de nombreux systèmes principaux de l’Armée ne seront plus qu’à quelques années de leur retrait du service, s'ils ne sont pas déjà obsolètes.

Les quelque 500 chars de grenadiers à roues 93 (Piranha), bêtes de somme de l'infanterie, suivis de plus de 300 véhicules d’exploration 93 (Eagle), arrivent à la fin de leur carrière. Il en ira de même, au milieu des années 2020, des obusiers blindés M109 Paladin. Au début des années 2030, ce sera le tour des chars de combat 87 Leopard, moyen principal des troupes blindées, puis peu après des chars de grenadiers 2000 (CV 90). Plusieurs centaines d'autres véhicules obsolètes de tous types ne pourront plus être maintenus en service, comme l'antique M113 datant des années 60 et dont le niveau de protection n’est plus efficace. Aujourd’hui déjà, la plupart de ces systèmes n’ont plus qu’une faible valeur militaire et n’offriraient que des chances minimes de succès en cas de conflit contre un adversaire déployant des moyens modernes. Ce sont des pans entiers de l'Armée qui doivent dès aujourd’hui être renouvelés. Sans compter que des lacunes considérables existent déjà, notamment dans la capacité de mise en réseau des différents systèmes ou encore la capacité d'évoluer efficacement en zone urbaine.

On constate qu’aujourd’hui une armée ne mène pas seulement des opérations de guerre dans le cadre de conflits conventionnels. Elle fournit un appui à la population et aux autorités civiles, contribue aux opérations de maintien de la paix, assure l'aide en cas de catastrophe, etc. L'engagement au profit de l'Administration fédérale des douanes durant la pandémie a montré combien l'Armée est la réserve stratégique de la Confédération.

Les forces terrestres doivent accomplir des missions toujours plus variées dans un environnement de conflit hybride où le seuil de la guerre n’est pas clairement défini, en terrain bâti et au sein de la population. Lors de tensions, et même si les opérations militaires sont pratiquement toujours lancées de manière simultanée dans tous les espaces d’opération (sol, air, cyber, information, espace, etc.), l’engagement des forces terrestres reste décisif. Même à l'ère de l'information, elles constituent l'essentiel des effectifs de l'Armée suisse. Intervenant dans les lieux de vie et de travail de la population, elles en sont la composante la plus visible. Les récentes expériences syriennes ou maliennes ont révélé qu’une armée devait pouvoir s'adapter rapidement aux changements d'intensité propres à la guerre hybride. Ses systèmes, mais surtout les hommes, doivent dès lors être aptes à s’intégrer en un délai très bref, parfois de quelques heures, voire minutes, dans tous les spectres d’engagement.

La complexité des systèmes terrestres atteint aujourd’hui celle des forces aériennes ou de la marine, avec toutes les conséquences qui en découlent sur les coûts d'acquisition et de maintenance, la sélection et la formation des soldats. Il n’est donc plus possible d'adapter sans cesse la protection, les effets et la mise en réseau d'anciens systèmes après plusieurs décennies d'exploitation. Une prolongation de l’utilisation ou un accroissement de la valeur combative peuvent rarement nous épargner de nouvelles acquisitions. L'exemple des véhicules de transport DURO vieux de trente ans est parlant. Leur mise aux normes actuelles s'est avérée plus coûteuse que l'achat d'une nouvelle flotte. Et il s’agit de véhicules non armés. Dans l’ensemble, les systèmes d’armes modernes présentent un potentiel plus important que celui des systèmes remis à jour, aussi bien du point de vue de l'efficacité sur le terrain lors d’un engagement que de celui des critères économiques.

La modernisation des Forces terrestres sera le prochain grand combat de notre Armée. Son coût peut être estimé au moins aussi important que celui provisionné pour l'acquisition de nouveaux avions. Malheureusement, la campagne pour une défense aérienne moderne a pris le parti de mettre cette réalité sous le boisseau pour ne pas prétériter les chances de succès du projet Air 2030 devant le peuple. Certes, la modernisation des Forces terrestres passe aussi par des capacités aériennes modernes à même de protéger et appuyer les troupes au sol. Nonobstant, la puissance aérienne est superflue si lesdites troupes au sol ne disposent pas du matériel adéquat, ni du savoir-faire pour l'utiliser. Le remplacement des avions de combat et de la défense aérienne n'est qu’une facette de ce système global.

Aujourd'hui, le débat public traite essentiellement de nouveaux systèmes d’armes isolés. Pourtant, seul un ensemble de capacités harmonisées permet aux forces armées d’accomplir leurs missions avec efficacité. Pour que l’Armée demeure un instrument efficace de la politique de sécurité à long terme, il faut élaborer de nouvelles capacités, maintenir celles qui demeureront nécessaires, et surtout démanteler rapidement celles qui seront devenues obsolètes. Nos décideurs politiques devront à tout prix éviter la tentation référendaire pour faire valider par le peuple l'achat de tel ou tel système. Nous l'avons vu avec le projet Air 2030, les débats de spécialistes autoproclamés se cristallisent autour d'aspects idéologiques et financiers ne prenant que peu ou pas en compte la dimension globale du système qu'est la défense de la Confédération.

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