Les mandarin-e-s s’expriment
A une époque où un simple mot, une simple virgule, un simple sous-entendu – ou la simple absence de tout cela – peut être interprété comme une offense impardonnable, digne des pires excommunications, il est admirable que des gens osent encore s’engager publiquement en faveur de la liberté d’expression.
Nous nous demandons cependant s’il n’y a pas quelque paradoxe à ce qu’un tel engagement provienne précisément des gardiens les plus vétilleux des nouvelles inquisitions morales. Car la «lettre ouverte pour la défense de la liberté d'expression à l'Université de Lausanne» dont nous venons de prendre connaissance a été signée par la très conformiste Fédération des associations d'étudiant-e-s de l'UNIL, mais aussi par le Collectif UNIL de la grève féministe, par l’antédiluvien Groupe Regards Critiques, par le Syndicat SUD Etudiant-es et Précaires (sic) et par le Syndicat des services publics (SSP).
«La parole des universitaires est actuellement attaquée de toute part», s’exclament les auteurs en préambule d’une (très) longue liste de doléances touchant aux vicissitudes de la vie académique qui ne les aident pas à diffuser leurs dogmes aussi largement et aussi officiellement qu’ils le voudraient. Jusque-là, c’est assez classique: ces éminent-e-s mandarin-e-s, dont les théories les plus radicales ont pignon sur campus, s’engagent pour leur propre liberté d’expression, qu’ils jugent «bafouée». Et bafouée de la plus vile manière: songez qu’au mois de mars, le collectif étudiant-e en souffrance a vu ses affiches «retirées en moins de deux heures» sur le campus de l’UNIL. Nous frémissons en l’écrivant.
Plus grave encore, des personnes osent exprimer leur désaccord avec les vérités universitaires de gauche: «Telle prise de position en faveur de la Grève pour l’avenir s’attire les récriminations d’élu-e-s peu sensibles aux questions environnementales, […] telle intervention en faveur d’une hausse de la fiscalité provoque la tribune d’un conseiller politique dans le principal quotidien cantonal…» Nous convenons bien volontiers que la liberté d’expression de l’élite progressiste est bafouée si l’on permet aux forces les plus réactionnaires de leur répondre librement (surtout pour s’opposer à des hausses d’impôts).
Là où on commence à rigoler, c’est lorsque la lettre ouverte de l’intelligentsia lausannoise dénonce «les différentes tentatives d’empêcher la task-force Covid-19 du Conseil fédéral de s’exprimer librement, […] qui témoignent d’une méfiance très profonde à l’égard des travaux scientifiques et d’une certaine incompréhension de l’articulation entre ces derniers et les décisions politiques». En clair: le rôle des rebelles universitaires est désormais de voler au secours de l’officialité chahutée!
A la fin de leur long plaidoyer pour leur liberté d’expression et pour la censure de leurs adversaires, nos vaillants intellectuels retrouvent le sens des réalités pratiques puisqu’ils en profitent pour revendiquer 1) plus de temps libre, avec «l’aménagement des cursus d’étude afin de laisser aux étudiant-e-s le temps de s’y consacrer», 2) plus d’argent, avec «le développement d’un système de financement public des études supérieures», et 3) plus d’emplois confortables, avec «la création massive (sic) de postes fixes». Ils ont beau être révolutionnaires, ils n’en ont pas perdu leur latin pour autant et se souviennent fort bien qu’Alma Mater signifie «mère nourricière».
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- 1’044’510 habitants – Editorial, Félicien Monnier
- Occident express 84 – David Laufer
- La tentation du désespoir – Lars Klawonn
- Serviteur du livre – Jacques Perrin
- Qui sommes-nous? – Olivier Delacrétaz
- La défense n'est pas qu'une affaire d'avions! – Edouard Hediger
- Fragmentation – Alain Charpilloz
- † François Perret – Jean-François Cavin