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L’Ukraine, Etat-tampon

Jean-François Cavin
La Nation n° 2193 28 janvier 2022

A quel monde l’Ukraine appartient-elle? Ses vastes étendues ne sont pas délimitées par d’évidentes barrières naturelles et ses frontières ont été mouvantes au fil des siècles. L’histoire ne nous renseigne pas plus distinctement que la géographie. Les plaines du Dniepr et du Dniestr ont été ballottées au cours des âges d’une souveraineté à l’autre. Il y a mille ans, Kiev était la capitale d’un pays qui fut illustre, avec une belle culture et une certaine force régionale sous l’empire de ses princes venus du Nord. Mais le déclin d’une dynastie fut aussi celui de ses possessions; quand la Moscovie prit le dessus à l’est de notre continent, l’Ukraine fut cosaque un temps, polono-lituanienne durant trois siècles (regardant donc vers l’Ouest) avant de tomber dans l’orbite de la Russie, pour trois siècles aussi. Dans ses frontières actuelles, qui datent d’une petite centaine d’années pour l’essentiel (le cas de la Crimée mis à part), elle abrite des nationalités multiples; outre les Ukrainiens eux-mêmes, une importante minorité russe à l’Est et, ici et là, des Polonais, des Hongrois, des Bulgares, et l’on en passe. Ignace Paderewski, polonais si l’en est, est né dans une localité aujourd’hui ukrainienne.

Dans les tiraillements actuels entre la Russie et l’OTAN, représentée par le gouvernement de Joseph Robinette Biden, il convient de rappeler ce positionnement assez complexe. L’Est ou l’Ouest? Le gouvernement ukrainien – dont on ne sait trop s’il est crédible dans un paysage politique intérieur chaotique – penche vers le couchant; son président ne désespère pas d’une association avec l’UE et ne dit pas non à l’OTAN. Les avances de ces deux organisations semblent séduire une partie de la population. Mais on ne saurait oublier que Kiev fut un berceau de la civilisation slave et de la religion orthodoxe, ni effacer les trois siècles de domination russe dont on sort à peine; et les russophones du Donbass, dont Kiev s’obstine à ignorer la langue, ne sauraient se détourner de la Russie.

Vladimir Poutine, même s’il vieillit un peu mal, virant à l’autocrate ploutocrate, ne semble pas être un va-t-en-guerre. Avec son équipe de fins joueurs d’échecs, il mène une diplomatie habile et montre souvent sa force pour n’avoir pas besoin d’en user. Mais il ne faut pas le provoquer chez lui ou aux frontières de son empire – Géorgie, Biélorussie, Ukraine justement. L’UE, envisageant l’adhésion de Kiev au conglomérat que Bruxelles peine déjà à administrer, a allumé sottement un feu qu’il est difficile d’éteindre. L’OTAN, en n’excluant pas d’englober l’Ukraine dans son dispositif, ranime la tension.

Lorsque Poutine demande que les USA s’engagent à ne pas intégrer l’Ukraine dans l’OTAN, Biden répond que ce choix dépend de la décision des Ukrainiens eux-mêmes. Ce respect – un peu hypocrite, car Washington n’est pas toujours soucieux de la volonté des peuples où vont ses troupes – de la souveraineté du pays du Dniepr peut paraître normal. Mais les Suisses sont en droit d’en sourire quelque peu, eux dont la neutralité a été reconnue et fondée en droit international par des puissances extérieures, à Vienne en 1815. Et nous nous en trouvons bien!

C’est probablement le statut de neutralité qui conviendrait le mieux à l’Ukraine, Etat-tampon entre l’Est et l’Ouest comme la Confédération helvétique l’était en 1815, Etat multinational comme la Suisse quadrilingue avec ses vingt-six cantons souverains. Si les puissances majeures brusquaient un peu Kiev pour lui imposer ce statut, couplé à une structure fédéraliste indispensable à la concorde intérieure, on égratignerait certes le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes; mais on pourrait espérer que ce soit un bien pour la paix de notre continent et, pourquoi pas, pour l’Ukraine elle-même.

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