Madame Amherd, signez-nous vite ce contrat!
Le 1er mars 2022, en direct au 19h30, Viola Amherd appelait les opposants au F-35 à retirer leur initiative populaire. Le parti socialiste et le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) répondirent par communiqué: « Cette demande est choquante du point de vue des droits démocratiques et démontre que le lobby de l’armement craint que de nouveaux scandales n’éclatent au grand jour»1.
Cette phrase mérite largement sa place au panthéon des élucubrations gauchistes. Tout y est: petit quant-à-soi démocratique geignard, incantation moralisante, référence grandiloquente et soupçonneuse à l’industrie. Quant au site internet des opposants, il ne mentionne même pas que la guerre est de retour en Europe depuis le 24 février. L’encadré publié en regard de cet article en reprend des extraits: «Le F-35 n’offre donc aucune protection face à aux grandes menaces de notre temps.» Parce qu’ils ne luttent pas contre le réchauffement climatique, les avions de combat seraient inutiles. Voilà ce qui s’appelle de l’idéologie.
Mais le fond du discours n’est pas tout. Il y a la manière et les moyens développés. Le 27 septembre 2020, le peuple a accepté un crédit d’acquisition pour acheter un avion parmi quatre modèles connus à l’avance. Durant la campagne, chaque modèle fut l’objet de nombreux commentaires. On souligna l’élégance toute française du Rafale, l’origine européenne de l’Eurofighter, la proximité du F/A-18 Superhornet avec nos propres Hornets, la haute technologie du F-35 de Lockheed Martin. Nous avions naturellement tous nos préférences. Mais en votant OUI, les Suisses ont accepté plus que la nécessité et le principe d’un renouvellement de leur flotte aérienne. Ils ont accepté que chacun des quatre avions en lice puissent un jour équiper nos pilotes.
Que le vote ait été serré n’est d’aucune pertinence. La politique exige que des décisions soient prises. Pour cela, la démocratie recourt au système de la majorité des votes. Et notre ordre constitutionnel ne prévoit aucune nuance dans cette manière de faire. Attacher une portée institutionnelle à l’importance d’un pourcentage reviendrait à ne jamais savoir ce qu’on a exactement décidé en votation. Imaginerait-on un avocat invoquer en faveur de son client le faible pourcentage d’acceptation au vote d’une infraction du code pénal?
L’exercice du pouvoir – même en démocratie – doit se concentrer sur la décision, et non sur le débat. La décision est le but du débat. Seule la décision consacre l’ordre que la délibération a permis d’esquisser. Lorsqu’on affirme que le souverain est responsable, on ne désigne pas une fonction comme on dirait «Roger Nordmann est responsable de tenir la porte à Pierre-Yves Maillard». Cela implique que des conséquences soient prises contre celui qui n’assume pas sa responsabilité. Le roi de France était responsable devant Dieu, ce qui est terrible. Dans le très abstrait et déchristianisé régime démocratique, le fictif «peuple souverain» n’est responsable que devant lui-même. Sa responsabilité ne peut donc a minima s’incarner que dans le respect de ses propres décisions.
Ici réside l’incohérence des opposants au F-35. Ils refusent que les institutions prolongent dans le temps long les nécessités politiques. Ils adoptent ainsi une perspective révolutionnaire.
Non sans nous surprendre, le Conseil fédéral a récemment annoncé qu’il signerait les contrats d’acquisition du nouvel avion de combat d’ici à mars 2023. Il ne tiendra pas compte d’un éventuel dépôt de l’initiative, ni des délais liés à la votation. Par cette décision, le Conseil fédéral refuse de céder au détestable chantage à la démocratie directe qu’orchestrent le GSsA et ses alliés. Du même coup, il assume de prendre le risque, minime mais réel, de devoir payer les très élevées peines de dédites que le contrat contient inévitablement. Cette perspective est toujours moins inquiétante que celle de signer les contrats trop tard, et de repousser à on ne sait quand l’acquisition des avions.
La Ligue vaudoise salue cette marque de courage et d’autorité.
Notes:
1 https://www.sp-ps.ch/fr/publications/communiques-de-presse/stop-f-35-le-ps-suisse-maintient-son-cap
Extraits du site internet des opposants au F-35:
Inutile: Aujourd’hui, alors que nous faisons face à une crise climatique et à une crise sanitaire qui nécessitent des investissements importants, cela ne fait absolument aucun sens de dépenser 25 milliards de francs issus de nos impôts pour des avions de combat de luxe. Les bombardiers furtifs ne peuvent ni aider le personnel soignant ni produire de l’énergie solaire. Le F-35 n’offre donc aucune protection face aux grandes menaces de notre temps.
Inadaptés aux situations réelles de conflit: Les partisans des nouveaux avions de combat aiment souligner que la Suisse et l’armée suisse doivent être préparées à tous les scénarios, aussi improbables soient-ils. Cependant, en cas de guerre, qui est la seule autre situation opérationnelle pour les avions de combat en dehors des tâches de police aérienne, les avions de combat sont totalement inadaptés. Les guerres actuelles, comme le conflit au Haut-Karabakh ou le conflit dans l’est de l’Ukraine, montrent que les avions de combat ont joué un rôle secondaire, voire nul, dans la guerre.
Sources: https://stop-f-35.ch/fr/ , et https://stop-f-35.ch/fr/argumentaire/ consulté le 28 mai 2022 à 11 heures 25
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- «Stop F-35»: une initiative nulle? – Félicien Monnier
- Bernard Reichel, un compositeur à redécouvrir – Frédéric Monnier
- Prix Eugène-Rambert 2022 – Simon Laufer
- De la saleté – David Laufer
- Un Etat n’est pas une personne – Olivier Delacrétaz
- Les futurs départements – Jean-François Cavin
- Le libéralisme selon l’Express – Jacques Perrin
- Loup, y es-tu? – Benoît de Mestral
- Si nous n’allons pas au paradis, le paradis viendra peut-être à nous – Le Coin du Ronchon