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Achille Laugé, le rescapé du néo-impressionnisme

Yves Guignard
La Nation n° 2205 15 juillet 2022

La fondation de l’Hermitage consacre, jusqu’au 30 octobre, une exposition monographique à un peintre de Carcassonne, formé à Paris, et de la même génération que Seurat, Signac, Cross, Luce et Van Rysselberghe, à savoir les grands ténors du néo-impressionnisme, mouvement qui succède à l’impressionnisme en l’exagérant et qui a notamment inventé les petits points de couleurs pures qui se mélangent dans l’œil du spectateur. Laugé était par hasard un grand ami des sculpteurs Bourdelle, qu’il a connu à Toulouse, et Maillol avec qui il a fait ses premières armes à Paris. Voilà donc le personnage situé parmi les grands noms de son temps; en réalité sa carrière à lui ne fut pas très glorieuse, malgré des expositions chez quelques grands marchands parisiens de son temps (Bernheim-Jeune, Georges Petit). C’est que le peintre retourne plutôt jeune dans son petit village audois (c’est amusant, on dirait qu’il manque une consonne devant, mais il habite bien dans l’Aude) et qu’il est donc un peintre de province, ce qui n’est pas toujours facile chez nos voisins.

Il faut se poser la question de son style, car on nous dit qu’il n’est pas un suiveur. En effet, il ne ressemble pas à ses camarades. Pour commencer, il creuse avec beaucoup de talent deux genres assez peu courus parmi les néo-impressionnistes qui sont le portrait et la nature morte. Dans les deux cas, le peintre dispose ses modèles devant des fonds neutres qui ont beaucoup de vie car constellés des petites taches, de mouvement, d’élan. Il n’alourdit pas son sujet d’un décor, ce qui rend cette nudité (de laquelle surgissent ses figures ou ses objets) très moderne, très contemporaine, jouissive. Un critique de l’époque compare ses portraits à des «mannequins couverts de confettis», voilà qui est festif. Nos sensibilités ont bien sûr changé, mais il faut aussi remarquer que la touche du peintre évolue beaucoup. On le voit d’abord griffer la toile de petits traits jusqu’à créer un entrelacs aussi dense qu’un treillis, c’est très respirant et on distingue bien le dessin préparatoire, dessous. Le revers de ce côté pointu, c’est que les oranges d’une nature morte de 1892 ressemblent à des oursins. Cette technique est celle des jeunes années, elle va se développer vers plus d’empâtement, des petits points pleins, épais, qui peuvent passer pour un badigeon un peu lourd. On ira même jusqu’à dire que ce mauvais penchant culmine dans les années 1909-1920. L’exposition n’est pas strictement chronologique, si bien qu’on a toujours quelque belle œuvre parmi les plus «limites». Et lorsque je dis limite, cela veut dire que l’on frôle le peintre du dimanche, bourreau des toiles et chantre du kitch. Comme Laugé peint durant cette période beaucoup d’amandiers en fleurs, la meilleure comparaison serait celle des dragées, blanches et roses, qu’on donne parfois lors des mariages. C’est d’un douceâtre! D’ailleurs dans une salle entière du premier étage, on ne trouve que des cadres blancs droits, sans goût, désespérants. Ce n’est pas la faute du musée, toujours celle des propriétaires des œuvres, mais franchement, là, c’est un peu indigeste. «C’est frais», dit une passante à son mari. Encore heureux, c’est davantage le verre de bourboulenc que le cassoulet, mais non! On apprend dans la bibliographie qu’il peignait durant cette période sur le motif avec une «roulotte» (mais qu’une photo nous apprend être une charrette à bras). Disons qu’on s’y retrouve, c’est bien du style «roulotte».

Durant cette période, mais surtout avant 1909, il est parfois excellent dans le côté japonisant mais à condition qu’il place des ombres solides et très bleues, qu’il structure un peu ses tons pâles.

Enfin, si j’insiste sur le passage à vide, c’est que l’exposition termine sur une très bonne note. Le peintre se sauve lui-même dès la fin des années 1920 et dans les années 1930. Il allège sa touche, il structure plus solidement ses paysages et joue plus habilement des contrastes et des rapports de tons, le tout gagne en profondeur. Ses couleurs sont aussi plus variées, les jaunes et les rouges de l’architecture du Sud sont admirables. La salle du sous-sol nous réconcilie presque sans réserve avec l’artiste, il est sauvé.

Le sous-sol nous conforte surtout doublement avec le fait de s’être déplacé jusqu’à l’adorable domaine des Bugnion transformé en musée, puisque la direction a choisi en effet d’exposer en prolongement de Laugé dans les salles de l’extension moderne souterraine les paysages issus des propres collections de l’Hermitage. Outre une très belle confrontation entre Marquet et Vallotton et un chef-d’œuvre de Bosshard, on ne découvre pas moins de trois Vallotton (dont deux grands) ainsi que cinq Bocion de premier ordre qui ont été donnés ou déposés à l’Hermitage depuis 2019. Ce sont ainsi des œuvres patrimoniales inconnues de la plupart d’entre nous et qui réjouissent l’âme. C’est le travail au long cours d’un musée de susciter dépôts et dons pour le plus grand bonheur du public et nous félicitons chaleureusement l’Hermitage de le faire bien.

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